vendredi 10 décembre 2010

MES POCHE SOUS LES YEUX. Un Roi sans divertissement de Jean Giono

C'est la saison des retours... Revoici la rubrique à fréquence très irrégulière "Mes poche sous les yeux" réactivée à cause de (grâce à?) la neige qui s'est abattue sur notre pays depuis la semaine dernière.

De par chez nous, on ne l'a vu qu'un jour ou deux, et puis elle s'en est allée ... en voici d'ailleurs la trace, de modestes photos de ma bonne ville prises par mes soins :

Ce tapis blanc inattendu m'a remis en mémoire un livre où le blanc de la neige joue un rôle primordial, livre dans lequel je suis de nouveau plongé, autrement dit : "Un roi sans divertissement" de Giono, un des romans les plus originaux de la littérature française...

Roman énigmatique fascinant, polar historique atypique, "Un roi sans divertissement" est le premier ouvrage du cycle des chroniques romanesques de l'écrivain de Manosque entrepris après la guerre, et certainement l'un des plus sombres de son oeuvre.

Jean Giono, à tort souvent relégué comme écrivain de la Provence - à cause des films de Pagnol, souvent tirés de son oeuvre - est loin d'être cet "écrivain régionaliste couleur locale" que fut Marcel Pagnol ou un écrivain classique sans histoire aimablement démodé.

Giono est d'abord un grand narrateur à la verve langagière typique du Sud, mais mise au service d'un regard inquiet sur les tourments de la société humaine.

Et avouons qu'il trompe son monde au début de ce récit se déroulant en 1843 dans les massifs alpins du Trièves du sud de l'Isère, dans un XIXème siècle rural plus vrai que nature sous sa plume alerte et ironique.

Extrait : "Frédéric a la scierie sur la route d'Avers. Il y succède à son père, à son grand-père, à son arrière-grand-père, à tous les Frédéric. C'est juste au virage, dans l'épingle à cheveux, au bord de la route. Il y a là un hêtre, je suis bien persuadé qu'il n'en existe pas de plus beau : c'est l'Apollon-citharède des hêtres.."

Début faussement paisible d'une plongée bien noire au coeur du crime et du mal. ... Où un invisible "serial-killer rural" terrorise les villageois en éliminant sans raison ses semblables.
... Où un capitaine de gendarmerie nommé Langlois, à force de ténacité, l'identifiera après quelques années, non sans révéler son sentiment d'ennui récurrent, son attirance pour la chasse, et surtout une étrange fascination pour la beauté du sang d'une oie répandu sur la neige...

Cette trouvaille visuelle et brillante métaphore éclairant le personnage peut justifier à elle seule la lecture de ce livre atypique aux rebondissements imprévisibles.

Une oeuvre à la construction gigogne, où la grande virtuosité de Giono lui permet de jongler avec de multiples narrateurs (hommes, femmes) au gré d'une temporalité éclatée (sur quatre ans, vingt ans, voire un siècle...) qui recompose, comme un puzzle, l'histoire complète.

Mais, captivé par l'atmosphère originale et le déroulement surprenant des évènements, bien malin celui qui s'en rend compte à la première lecture...

Charmé par les sortilèges poétiques et la grande faconde narrative de l'auteur, c'est pourtant un rude voyage en hiver qui attend le lecteur, au long d'un texte qui ne livre pas d'emblée tous ses mystères et pratique la métaphore, ainsi la figure du loup :
''On sent que les loups ce sont des bêtes avec lesquelles on peut s'entendre, sinon avec des paroles, en tout cas avec des coups de fusil".

Une oeuvre qui se refuse à proposer la moindre explication psychologique sur le comportement profond de ses protagonistes, que ce soit le tueur Mr V. ou surtout son (anti) héros Langlois.

Étrange enquêteur qui, au moment d'arrêter le tueur enfin identifié, de représentant de la loi type Maigret chez Simenon se mue en personnage ambigu à la Dostoievski. Et les surprises ne s'arrêteront pas là...

"On ne voit jamais les choses en plein", phrase-clé du livre résumant que tout dans la vie est affaire de point de vue...

Où l'on réalise que cette fable métaphysique témoigne du sombre état d'esprit de Giono au sortir de la guerre et de l'occupation, renforçant son pacifisme et humanisme de base, mais teintés d'une inquiétude lucide sur la nature humaine.
Ne remarque-t-il pas ironiquement : "hiver 43, (1800), évidemment..."

Une oeuvre forte placée sous l'égide de Pascal, lui empruntant sa réflexion : "Un roi sans divertissement ... est un homme plein de misères" pour en faire le titre du livre.

Mais qu'on ne s'y trompe pas : troublant, pessimiste, hanté par la le mal, le meurtre violent et le monstrueux chez l'homme, "Un roi sans divertissement" est un livre peuplé d'arbres funèbres et d'hommes aussi féroces que des loups qui vous laissera en tête de persistants tableaux de neige et de blanc.
Comme une échappée désolée dans les terres de haute solitude humaine...

Pour terminer, ce roman à lire sans attendre a été adapté au cinéma en 1963 par le cinéaste François Leterrier, sous la supervision de Giono lui-même.

Un film rare, qui, tout en étant moins vertigineux que le livre, en restitue assez bien le climat.

... Entre blanc du décor, rouge du drame et noir de l'inspiration, illustré par la belle et sombre chanson de Brel, "Pourquoi faut-il que les hommes s'ennuient?" écrite pour l'occasion :


disponible chez folio poche et DVD du film chez CinéGénération

fine analyse d"Un roi sans divertissement" sur Magister

première photo du livre et La Rochelle sous la neige : photos Blake.

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