mercredi 10 novembre 2010

LE COIN DES CLASSIQUES. Station To Station

Retour sur un disque et un artiste qui figurent tous deux depuis bien longtemps au panthéon musical, dont je doute que ma modeste contribution apporte quoi que ce soit de nouveau à leur sujet.


Mais, depuis fin septembre qu'est réapparu ce classique en édition spéciale (3 CD) et en version luxe (5 CD, 3 LP, 1 DVD, merci le marketing chez EMI !) et que ces jours-ci se publie un hommage musical assez indigent au mythique créateur de Space Oddity ou Ziggy Stardust, l'envie est grande de replonger dans l'univers de Mr David Robert Jones, sans doute aucun l'artiste qui m'aura le plus durablement marqué.


Or donc, en 1976 David Bowie publiait Station To Station, son album défini depuis par tous "d'album de transition". Son alter ego décadent Ziggy était mort depuis longtemps, Bowie se lassait de la vie américaine et la cocaïne de Los Angeles nourrissait sa paranoïa de superstar fantomatique qui faisait ses premiers pas au cinéma dans L'Homme Qui Venait d'Ailleurs. Une fable S.F. un peu bancale mise en scène par Nicolas Roeg, où notre héros joue l'alien, mais devenue culte car un quasi-documentaire sur "Bowie-la-star-à-la-dérive".

Depuis quelque temps sous influence du krautrock synthétique allemand (Kraftwerk, Neu!) Station To Station sera l'occasion pour l'icône anglaise, alors que les premiers punks aboient déjà, d'opérer une métamorphose capitale après son album soul Young Americans (1975) déjà une date après sa période glam.

Plus exactement, en créant ce dernier personnage du "Thin White Duke", dandy blafard cynique et détaché qui court comme un fil noir et blanc tout au long des six uniques morceaux composant le disque, Bowie en termine avec ses précédentes incarnations fictives bariolées pour créer simplement ... David Bowie lui-même et tout ce qu'il produira ensuite.

C'est peut-être pourquoi je suis attaché à Station To Station, magistral mélange de flamme et de glace. Un disque charnière, un de ceux que j'ai écouté tardivement après les chocs que furent, entre autres, le mythique Life On Mars? sur le fondamental Hunky Dory ou le somptueux Ashes To Ashes découvert à 13 ans sur Scary Monsters. Ce dernier fut du coup le premier CD de Bowie acheté avant les autres ensuite.










 

Ici la pochette version couleur de
Station To Station, version remastérisée de 1999 :

Pourquoi celui-ci ? Parce qu'avant d'être un mélange d'expérimentation (Station To Station, le titre) et de chansons au groove parfait (Golden Years, unique tube du disque), cet album inépuisable, mélange de funk U.S. et rock européen au climat pré-new wave co-produit par Harry Maslin, où brillent les guitaristes géniaux Earl Slick et Carlos Alomar et le bassiste George Murray, est le disque où le chanteur Bowie est à son sommet.

Une maîtrise impressionnante de sa voix, plus posée qu'avant, tour à tour martiale (fabuleux morceau-titre Station To Station avec son intro expérimentale imitant le sifflement du train), séductrice (Stay), suppliante (la quasi-religieuse World On A Wing), ironique (TVC 15), distanciée (Golden Years), et même émouvante (Wild Is The Wind, reprise géniale de Nina Simone).

Station To Station, version live de la tournée 1978 :



Un vrai festival vocal entre démonstration technique et libération expressionniste du chant. De quoi filer de sérieux complexes à des générations d'aspirants chanteurs qui tenteront de marcher assez vainement dans ses brisées en tentant de dupliquer sa théâtralité et son dandysme excentrique, le tout souvent loin du compte vocalement.

Et n'en déplaise à ceux qui n'ont parfois vu en Bowie qu'un roi des poseurs ou un opportuniste ambitieux vampirisant ses influences (Marc Bolan de T-Rex, Scott Walker, Syd Barrett, Lou Reed, Iggy Pop), la star androgyne aux yeux vairons cherchait, comme un adolescent attardé de 29 ans, autant sa personnalité profonde que son équilibre personnel dans ce tourbillon insensé de superstar des années 70.



Car soudain, à la faveur de l'enregistrement de Station To Station, parmi le pèle-mêle impulsif de ses psychoses ou lubies - l'occultisme, le glamour romantique des années 30, le rock allemand pré-électro, l'expressionnisme allemand - Bowie posait là les fondamentaux des "new" et "cold wave" électroniques développées plus tard à Berlin avec Brian Eno pour Low et "Heroes". Et surtout, exorcisant ses démons, il retrouve dimension humaine, recentre sa créativité et jette les bases de tout ce qu'il sera plus tard.

 











Un artiste majeur jetant des ponts entre expérimentation et entertainment, avant-garde et grand public, showman au charisme magnétique, à l'occasion narcisse mégalomane moins bien inspiré (ses errements de célébrité dans la pop clinquante des 80's et début des 90's) mais au final, une personnalité incontournable, à juste titre devenue légendaire.

Un document certifié d'époque, Word On A Wing et Stay captés seulement en répétition, imaginez le concert :



Quels que soient les défauts de l'homme, dont la trajectoire démesurée illumina les années 70, une telle force créatrice alliée à un charisme unique, un talent brillant d'auteur-compositeur et une voix exceptionnelle est assez rare dans l'histoire de la musique et force depuis toujours mon admiration. Car qu'on l'aime ou qu'on s'en méfie, quoiqu'on en pense, quoiqu'on en dise, comme pour les Beatles, on en revient toujours à un moment donné à Bowie.

Pour se convaincre par l'absurde de la force irréfutable de l'interprète Bowie, jetez donc une oreille sur la piteuse compilation We Were So Turned On, hétéroclite et très dispensable "tribute" au Thin White Duke. Même conçu pour la cause caritative War Child, on a rarement entendu hommage passer autant à côté de la beauté des originaux.

Tout au plus signalera-t-on la jolie reprise toute en cordes de Life On Mars? de Keren Ann, un honnête mais peu original Ashes To Ashes par les jeunes Warpaint, ou une version robotique de Let's Dance par We Have Band. Mais généralement, c'est plutôt médiocre, on y croise même les vétérans Duran Duran, c'est dire. Une raison de plus pour regretter la retraite artistique prolongée de notre homme pour raisons de santé depuis 2004.

Mieux vaut donc se quitter avec le Duke et le beau clip noir et blanc de Wild Is The Wind :




Je vous engage à (re) découvrir la version intégrale de Station To Station en écoute sur spotify
Sur deezer, vous entendrez l'album + le live du Coliseum de Nassau durant l'historique tournée de 1976, version longtemps pirate qui constitue surtout l'intérêt de la réédition de cet album in-dis-pen-sable.

Tracklist : 

1. Station To Station
2. Golden Years
3. Word On A Wing
4. TVC 15
5. Stay
6. Wild Is The Wind

"Station To Station" 1976 (RCA Records/EMI) CHEF-D'OEUVRE ♥♥♥♥♥
chronique érudite chez Dr frankNfurter

Station To Station, édition spéciale 3 CD + livret + 3 photos (EMI) environ 20 €
Station To Station, coffret de luxe 5 CD + 3 LP + 1 DVD + nombreux collectors, autour de 109 € pour les super fans fortunés
 









We Were So Turned On, A Tribute to David Bowie (Naïve) en écoute sur deezer et sur spotify ... parce que je suis conciliant.

6 commentaires:

  1. cher blake,

    indispensable évidemment, j'aime beaucoup david bowie, mais j'avoue le connaître par pointillé... bien sûr j'ai acheté à sa sortie le fameux et si beau Sacry monsters (j'avais 14 ans :), Tonight, Lets dance... période 80 paraît-il la moins inspiré... j'ai depuis découvert d'autres pépites plus anciennes... mais reste peu éclairé... merci donc à toi de m'ouvrir des pistes d'écoutes pour des journées comme celles-ci pluvieuses et intérieures !

    merci l'ami et bon jeudi

    amitiés

    christo

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  2. Hello Blake.

    Superbe article hommage à cet artiste atypique et magistral et à cet album que je n'ai jamais écouté !!! Et oui, pourtant j'aime Bowie mais m'y intéresse vraiment que depuis quelques années.
    Mes disques préférés (de ceux que je connaisse):
    La mythique trilogie Berlinoise soit
    § "Low"/"Heroes"/"Lodger", tous trois enregistré avec le maitre Brian Eno. Et aussi Iggy Pop qui a retrouvé un second souffle avec lui.

    § J'aime pas mal " The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars" (et sa version live sortie début 2000).

    Tu cites "Young Americans" (1975, année de ma naissance). Ce disque me fait penser à celui d'avant, "Diamonds dogs" (1974) et au chef d'œuvre de Charles Burns "Black Hole" ou une lycéenne contaminée par la "crève" se rend chez une de ses amie. Elle lui parles d'un nouveau disque étrange, donc "Diamonds dogs", dont la pochette est sublimée par le dessin en noir & blanc du génie Burns.

    "L'Homme Qui Venait d'Ailleurs", génial film où Bowie l'est tout autant. Mais de Nicolas Roeg, je préfère "Eureka" ou le réalisateur offre à Gene Hackman 1 de ses meilleurs rôle !!!

    En tout cas, très bon article !!!!

    A + + +

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  3. Tout à fait, excellent instantannée et très belle conclusion : se ruer sur le rédition pluôt que le tribute.
    Absolument aucun faux pas dans sa carrière, et pratiquement que des tournants.
    Un énorme pour moi, c'est son vrai retour en 95 avec le chef d'oeuvre Outside suivi du terriblement dangereux, vénimeux, toxique époustouflant Earthling que je garde secrètement tellement il est passé inaperçu.
    En fait il nous appartient tout un peu selon .
    Amitiés

    Charlu

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  4. Merci à tous pour votre sympathique retour, moi qui pensais n'avoir rien à apprendre sur Bowie que personne ne connaisse déjà ;-)

    @christo : en fait, tout Bowie dans la décennie 70 est à écouter tellement son parcours aura pas mal modelé le rock et celui des décennies à venir. Pas mal de chefs-d'oeuvre à la pelle, dont un des plus beaux albums de l'histoire, admiré par pas mal de monde, le magique "Hunky Dory" tout en haut :)...

    @francky : sûr, la mythique trilogie berlinoise est un peu l'acte de naissance du rock moderne qui viendra ensuite...
    Et perso, j'y rajouterai donc juste avant "Station to Station", ou plutôt, le substituerai à "Lodger", plus traditionnel et plus inégal. Ce sera ma trilogie à moi !
    Je ne me souviens pas bien du passage dans "Black Hole" même si je me rappelai que Burns y citait Bowie.
    D'accord pour le méconnu "Eurêka" qui devrait être plus vu ;-)

    @charlu : tu es encore plus inconditionnel que moi, car je lui pardonne difficilement le raté "Never Let Me Down" et la poussive période Tin Machine" !
    Et sûr, "Earthling" est singulièrement puissant et "Outside" un must absolu...

    Qu'on soit grand fan de Bowie ou moins, force est de reconnaître le parcours rare et l'influence énorme du monsieur sur tout, ou presque tout, ce qui se fait dans le rock indé...

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  5. Je viens tout juste de découvrir ton blogue et je suivrai à partir de maintenant: très intéressant! :)

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  6. @ma mère était hipster : merci beaucoup, ça fait toujours plaisir...
    Je vais de temps en temps sur le tien, très varié aussi, sans prendre le temps de laisser des commentaires, mais promis, je le ferai :-)

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