jeudi 25 août 2011

LE CINÉ DE L'ÉTÉ (3). Melancholia

On continue cette ballade cinéma, une petite escale danoise avec "Melancholia" sorti le 10 août :

Contre toute attente, le dernier film de Lars von Trier, enfant terrible et controversé du cinéma danois (Breaking The Waves, Antechrist), est un de ses films les plus ambitieux, et surtout les plus convaincants et personnels.

Le pré-générique peut surprendre avec ses images maniéristes de personnages au ralenti, illustrées par la musique de Wagner, résumé conceptuel du film à venir mais le ton, splendide et funèbre, est lancé : "Melancholia" est placé sous une bonne étoile (cinématographique) : le soleil noir du romantisme et de la tragédie.

Envoûtante de beauté plastique et de fatalisme existentiel, l’atmosphère crépusculaire hantant le film s’inscrit entièrement dans le romantisme le plus allemand qui soit : tableaux d’une nature figée isolant l’homme, un monde solitaire renvoyant à l’imagerie germanique de Caspar David Friedrich ou d'Arnold Böcklin.











Cachée sous l’argument hollywoodien d’un film-catastrophe - la Terre condamnée suite à sa collision imminente avec une planète fatale - "Melancholia" est une oeuvre bipolaire, bluffant de maîtrise, résultant de la dépression qui secoua son auteur : deux parties distinctes, détaillant chacune un personnage (les deux sœurs Kirsten Dunst/ Charlotte Gainsbourg lors du mariage de la première) pour deux styles de cinéma différents.

Si la première s’inscrit dans la lignée du Dogme (caméra à l’épaule et tons ocres suffocants rappelant la tension familiale de Festen) la deuxième affiche un classicisme formel épuré, et suit la montée de l’angoisse face à l’arrivée de la planète mortelle.
Ces deux parties divisent à leur sujet et comptent chacune des pourfendeurs et défenseurs. En fait l’appréhension de ce film singulier ne peut se faire que par l’addition de ces deux segments, qui donne ainsi sa drôle d’unité à ce film somptueux empruntant son titre au graveur Dürer.

Acte I : comme pressentant la tromperie de ce faux bonheur, une Justine/Kirsten dépressive, incapable de participer à l’euphorie de son propre mariage, est le personnage central d’un règlement de comptes familial orageux, qui fait passer celui de "Festen" pour une réunion enfantine, tempête de névroses dont Kirsten Dunst (Prix d'interprétation à Cannes), émouvante de douleur derrière son sourire forcée, ne fait rien pour calmer la violence.
Un récit acide et virtuose d’un gâchis annoncé, où l’on reconnaît le von Trier habituel, sarcastique et détaché, tout en regrettant qu’il se contente pas mal de recycler ses trucs déjà vus de cinéaste malin.

Acte II : couvée par sa sœur Claire/Charlotte, une Justine apaisée voit sans émotion les signes du désastre se confirmer et l’angoisse changeant de camp, c’est autour d’une Charlotte Gainsbourg (sidérante elle aussi) qu’anime l’énergie du désespoir que le danois organise sa nouvelle mise en scène, toute de suspense et d’effroi grandissants.

Si le propos semble se plier au schéma d’un suspense S.F. plus attendu, c’est en fait tout le sujet du film qui se révèle : l’opposition des attitudes des deux sœurs - l’une résignée, l’autre paniquée - ne fait que poser la question de la mort qui se posera à nous tous : comment accepter l’inéluctable ?
La confirmation de l’apocalypse annoncée qui justifie le désespoir fondamental ressenti par Kirsten Dunst, double évident du cinéaste, semble révéler la force de tous les mélancoliques dans l'âme, esprits trop lucides que pour oublier l’issue fatale.

Si souvent l’œuvre et la personne du danois ont pu être taxées de tapageuses ou provocatrices (remember l'affaire de Cannes), c’est que Lars von Trier semble avoir gardé l’esprit tourmentée d’un post-adolescent, volontiers désenchanté et sans illusion.

Mais pour la première fois chez lui, ce constat amer touche et interpelle tandis que le dernier plan du film emporte dans un grondement sourd le destin de ses personnages et clôt de manière saisissante cette fable allégorique d’une noirceur somptueuse, opéra crépusculaire puissant aux résonances intimes qu’on ne s’attendait pas forcément à éprouver.

"Melancholia" (Danemark/Allemagne), 2011).
♥♥♥

Réalisation et scénario: Lars von Trier. Directeur de la photo : Manuel Alberto Claro. Effets Spéciaux : Hummer Høimark. Production : Zentropa Productions. Distribution : Les Films du Losange. Durée : 138 mn. Sorti le 10 août

Avec : Kirsten Dunst (Justine) ; Charlotte Gainsbourg (Claire) ; Kiefer Sutherland (John) ; John Hurt (Dexter) ; Charlotte Rampling (Gaby) ; Stellan Skårsgard (Jack).



autre avis sur benzine magazine

à suivre
Lien

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire