samedi 5 novembre 2011

LE CINÉ DE L'ENFANCE. Les Géants de Bouli Lanners

Rien n’est plus plaisant que de voir s’épanouir le talent d’un cinéaste. Avec son nouveau et troisième film Les Géants, le comédien-réalisateur Bouli Lanners confirme sa nature de "belgicain" porté sur le picaresque, son attirance pour la marginalité, son goût pour les chemins de traverse, toutes choses déjà à l’œuvre dans ses précédents films, "Ultranova", et surtout le formidable "Eldorado".

Mais, encore mieux, il affine encore son regard pertinent et tendre sur l’enfance ou plutôt sur son difficile basculement vers l’age adulte. Si "Eldorado" voyait des adultes largués fuir leur situation en se comportant en enfants inconséquents, "Les Géants" voit ses jeunes héros confrontés prématurément à des problèmes d’adultes.

Conte drolatique et élégiaque filmé à hauteur d’enfant – en fait à travers leur yeux - le film allie insouciance de la jeunesse à la constante âpreté de leur situation : trois pré-ados, deux frères et leur copain, livrés à eux-mêmes sans ressources dans la maison familiale, confrontés à un monde hostile, le nôtre : celui des adultes.
Trois petit poucets au cœur vaillant qui tentent de faire face à l’âge où faire les quatre cent coups est si tentant. Dérisoires et hilarants délires (fumer de l’herbe, piller "gentiment" une maison, se faire une teinture express) comme des chiens fous s’étourdissant pour braver la cruauté du monde extérieur.

Si ce "road movie forcé" s’avère constamment réussi, il le doit à la simplicité et nonchalance de son récit qui semble s’inventer à l’écran en collant au plus près des pérégrinations de ses jeunes héros, filmant avec un naturel dédramatisant des situations anormales, grotesques et inquiétantes : une mère désespérément absente, des adultes violents, un dealer flippant, escroc rapace et patibulaire.

La force de vie des enfants et la nature estivale splendide qui abrite leur déboires tirent le film vers la lumière et l’espièglerie, bénéficiant de l’excellence de son trio central de jeunes acteurs, confondants de naturel et de justesse - Zacharie Chasseriaud le plus jeune, en tête.

Mais qu’on ne s’y trompe pas, derrière une insouciance de façade, la gravité se fait sentir, la sensation d’abandon, la déshérence, l'exclusion, l’univers naturel inquiétant. Derrière l'aventure à la Tom Sawyer, peut guetter la noirceur de "Délivrance" ou de "La Nuit Du Chasseur".

Des références américaines évidentes au regard de la mise en scène du cinéaste qui filme la Belgique et le Luxembourg comme les grands espaces du Montana : splendides images en Scope d’une nature épanouie, lumière d’un été triomphant, fleuve Missouri local pour un possible havre de paix qui abriterait nos canetons perdus.
Bercée d’une jolie B.O. originale, folk plaintif à la Bonnie Brince Billy (signée The … Bony King of Nowhere, un disciple belge!), l’aventure a des allures de fuite rieuse mais se clôt sur un dénouement ouvert à l'avenir incertain.

Lumineux et doux-amer, "Les Géants" ne procureraient pas autant de plaisir cinématographique sans la discrète inquiétude que l’on sent, sous-jacente tout du long. Jamais insistant, toujours précautionneux, c’est pour ce que le film montre en creux qu’on l’aime : il fait bien de s’attarder sur le diablotin angélique Zackarie Chasseriaud et sa bouille de bébé à la moue renfrognée, touchant identificateur pour le spectateur.

Ce qui passe dans les scènes de regard muets entre Zak et ses compères, de la prise de conscience à la boule au ventre contenue, est d’une justesse indicible à serrer le coeur. En clair, s’il fallait remercier Bouli Lanners, c’est surtout pour la pudeur extrême qui caractérise son approche et le constant ravissement d’avoir vu un film modeste, mais précieux.
Merci l’artiste !



"Les Géants" (Belgique, 2011). Sorti le 2 novembre 2011
♥♥♥♥
Réalisation : Bouli Lanners. Scénario : Bouli Lanners et Elise Ancion. Directeur de la photo : Jean-Paul de Zaeytijd. Montage : Ewin Ryckaert. Musique : The Bony King Of Nowhere. Production : Samsa Films/Arte France/RTBF. Distribution : Haut Et Court. Durée : 85 mn.

Avec : Zacharie Chasseriaud (Zak); Martin Nissen (Seth); Paul Bartel (Dany) ; Didier Toupy (Boeuf) ; Karim Leklou (Angel) ; Marthe Keller (Rosa) ; Gwen Berrou (Martha).

Extrait de la musique du film :



écouter The Bony King Of Nowhere (album perso + B.O. du film) sur spotify

chroniques sur plan C et la houlette du hérisson

article sur télérama

les géants le film

8 commentaires:

  1. Un bonheur pour un mélomane-photographe amateur belge : ce rendu "roas movie" de notre petit pays grand comme un confetti. Bon, allez, en plus, Bouli, c'est un gars de Liège...

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  2. En tout cas, c'est un bon gars ! Acteur chaleureux et réalisateur inspiré, une vraie petite pépite, ces charmants "Géants".

    Et content de te lire à nouveau, ici ou ailleurs, ami bondissant ;)

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  3. Oh! Je ne connais pas... vais voir si on peut le dénicher facilement au Québec. Merci du tuyau.

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  4. @La Rouge : content que tu l'aies découvert ici ! Et salut à Charlu de ma part, chère rouge venue de si loin ;)

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  5. cher ami,
    quel belle perspective, j'ai adoré Eldorado et le nouveau me semble alléchant, Bouli Lanners est un grand cinéaste et sa façon de filmer la Belgique une magie au service d'un petit territoire vécu comme un grand large...

    à voir très vite donc

    amitiés
    christo

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  6. Oui, n'hésite pas si le film passe près de chez toi... Une petite fugue modeste mais savoureuse, entre fous rires et douce mélancolie à ne surtout pas bouder.
    See you :)

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  7. O combien d'accord, longue vie et filmographie à Bouli Lanners...

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  8. @MJ : Bon, ben va falloir rallier le fan-club français de Bouli Lanners, je vois, si ça existe...
    Sinon, vite en créer un !;-)

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