jeudi 30 septembre 2010

Memory Of The 80's, eternally (9). DAVID SYLVIAN

Ce "Memory of the 80's" de la semaine triche un peu avec son intitulé. En effet, cela aurait tout aussi bien pu être un "Memory of the 90's", voire "70's et même "2010", tant son auteur possède un long parcours entrepris depuis plus de trente ans. Mais l'ayant découvert au coeur de mes années 80 pré-adolescentes, il est pour moi attaché à cette décennie. En l'occurrence, cette première chanson choisie est une authentique "chanson qui me trotte dans la tête", ce depuis bien longtemps.

Paru en 1991, on doit ce titre subtil et envoûtant à l'un des musiciens esthètes les plus haut de gamme de la pop et de la sphère musicale contemporaine. L'album "Rain Tree Crow" cachait en fait des retrouvailles uniques et non renouvelées depuis avec la formation originale avec laquelle il avait débuté en 1978.
Autrement dit, sur "Black Water", David Sylvian renouait avec ses ex-complices de Japan :


Japan, groupe new wave sophistiqué qui révéla la classe unique de Sylvian, comme un fils glam-pop héritier du charisme de David Bowie et du dandysme vocal de Bryan Ferry. Cinq albums entre 1978 et 1982, quatre ans d'étincelles pop dans les charts et puis s'en vont.
Pour que l'artiste, sous l'égide du maître Ryuichi Sakamoto, qui révéla à tous les vertus de sa voix grave et douloureuse de chamane sans âge sur la chanson "Forbidden Colours" du film culte "Furyo", aille durant sa carrière solo débutant dans les 80's défricher des paysages sonores inexplorés :



Je ne peux mieux comparer le travail de Sylvian qu'à celui d'un peintre, alternant les styles et les périodes, les harmonies et les ambiances musicales, à l'image d'un artiste-plasticien disposant les formes et les couleurs sur ses toiles.
Ainsi, dans son parcours exigeant, Sylvian sera tour à tour orientalisant, contemporain, post-moderne, abstrait ou pop-art au gré d'albums élaborés avec la crème de musiciens savants : Robert Fripp (King Crimson), Holger Czukay (Can), David Byrne (Talking Heads) ou le grand trompettiste Jon Hassell.













Le bien-nommé "Brilliant Trees", splendide premier opus de 1984 (j'ai toujours la K7 d'époque), montrait déjà la voie que Sylvian suivrait ensuite, en solitaire très entouré, entre ambient music, expérimentations jazz, rock progressif et perles pop zen. Ainsi que "Dead Bees On A Cake", son album ample et maîtrisé d'inspiration indienne de 1999, deux disques constituant les pierres angulaires de son oeuvre, résumée dans l'excellente compilation "Everything & Nothing."

Mais son album de coeur s'avère être pour moi son "Secrets Of The Beehive" de 1987 :

Disque atmosphérique, intimiste, méditatif et "coconneux", cet album au parfum automnal vivace comme une senteur retrouvée, renferme tout le savoir-faire d'artisan de luxe de Sylvian en matière de ballades languides et élégantes d'une douceur architecturée, aux silences évocateurs et à la mélancolie apaisante (Mother And Child, When Poets Dreamed of Angels, Waterfront).
Si ultérieurement, il se montrera à l'occasion parfois plus austère ou désincarné car plus expérimental, produit ici par Steve Nye il réussit la difficile harmonie de la rigueur orchestrale - admirables arrangements de guitare acoustique, cordes et  piano signés Sakamoto - et de l'émotivité vibrante.

En témoignent les deux bijoux du disque, le magnifique "The Boy With The Gun" :



et le somptueux "Orpheus" :


On n'écoute pas vraiment à la légère le spleen élaboré de David Sylvian - dont on retrouve à l'occasion l'empreinte dans la musique du trop discret Perry Blake - mais renouer de temps à autre avec son oeuvre rigoureuse nettoie les oreilles de certaines impuretés pop indésirables accumulées au fur et à mesure des années.

En ce début d'automne - saison "sylvianesque" par excellence - l'occasion est idéale de vous annoncer la sortie le 27 septembre d'un nouveau disque, "Sleepwalkers" chez Samadhisound, compilation de titres composés au gré de ses collaborations multiples (Sakamoto, Christian Fennesz, son frangin Steve Jansen), une spécialité de l'artiste à la curiosité musicale insatiable.

Par exemple, saviez-vous qu'il a enregistré un duo avec les new yorkais de Blonde Redhead ? *

Un avant-goût, avec ce "Wonderful World" délectable où vous reconnaîtrez la douce voix de la trop rare Stina Nordenstam :



Et quoi de mieux pour refermer (déjà) ce mois de septembre, que de se séparer au son du "September" qui ouvrait "Secrets Of The Beehive" ? La boucle Sylvian est ainsi bouclée.



Tracklist :
1. September
2. The Boy With The Gun
3. Maria
4. Orpheus
5. The Devil's Own
6. When Poets Dreamed Of Angels
7. Mother And Child
8. Let The Happiness In
9. Waterfront
10. Promise (The Cult Of Eurydice)

David Sylvian. "Secrets Of The Beehive" 1987 (Virgin Records)
CHEF-D'OEUVRE ♥♥♥♥♥

Secrets Of The Beehive en écoute sur deezer ainsi que Brilliant Trees
Black Water, The Boy With The Gun et Orpheus en écoute sur la Mini Playlist 80's

* "Messenger" sur "The Secret Society Of Butterflies" EP de Blonde Redhead en 2005

mercredi 29 septembre 2010

CINÉMA. Le ciné a la foi. Des Hommes et des Dieux & Un Poison Violent

Hasard du récent calendrier des sorties, le cinéma français semble avoir retrouvé le chemin de la foi, pas encore vraiment la foi en son avenir, mais en tout cas celui de la foi religieuse comme thème principal.
Ainsi, "Un Poison Violent", première oeuvre de la jeune Katell Quilleveré et le très médiatisé cinquième film de Xavier Beauvois, "Des Hommes et des Dieux".

Sorti en plein été, mais visible uniquement en septembre de par chez moi (!), "Un Poison Violent" (Prix Jean Vigo 2010) est une chronique du passage à l'adolescence typique des premiers films des jeunes auteurs.
En ce sens, Katell Quilleveré s'inscrit sans originalité dans une certaine tradition du cinéma français, avec sa description d'une famille bretonne catholique.

Et surtout de sa benjamine Anna, 14 ans, à l'aube de sa confirmation solennelle et s'éveillant chaque jour de plus en plus au désir.

Anna, jeune fille apparemment sage dont le film conte la détermination à s'affranchir d'une éducation religieuse étouffante au milieu d'une cellule familiale éclatée : grand-père mourant (Michel Galabru) à l'anticonformisme plus vivace que la mère pieuse et malheureuse (Lio) depuis le départ du père volage (Thierry Neuvic).

Le film doit d'ailleurs beaucoup à ses jeunes acteurs, d'abord Clara Augarde, d'une justesse permanente, entre fraîcheur et résistance inquiète, ainsi que le jeune Youen Leboulanger-Gourvil en jeune Pierre très conscient d'éveiller les sens de la jeune fille.

Très jolis moments entre eux, élégamment négociés par une réalisation pudique : qu'elle accepte généreusement de lui montrer sa poitrine, ou que lui joue les tombeurs angélique en lui chantant sa flamme d'une voix de crooner ingénu.

Si le récit d'apprentissage sensuel se révéle d'une pertinence constante, ainsi que la description des rapports tendres et même troublants qui unissent l'enfant à son grand-père - un Galabru gouleyant en jouisseur athée - le film semble parfois prendre des détours de mélancolie languide appuyée du côté des adultes.

Ainsi, la mère bigote dépressive qui en pincerait pour le jeune et beau prêtre, parfois défaillant dans sa foi (Stefano Cassetti), façon "Léon Morin, prêtre" et tout paraît parfois se dérouler à une époque révolue avec sa description d'une province étriquée et datée.

Curieux film en fait, qui balance entre sage chronique ou charge sévère des effets dévastateurs d'une société aliénée par la religion (le discours culpabilisant du prêtre pendant la scène de la communion).
Alors, ce "poison violent", est-ce la religion ou l'amour ? Question soulevée par ce petit film qui, malgré certains creux et sa modestie, ne manque pas de grâce à l'image de son générique de fin, où retentit une version a cappella du célèbre "Creep" de Radiohead.

Mélange harmonieux du profane et du sacré : un bon résumé de ce premier jet d'une cinéaste à suivre.



"Un poison violent" (France, 2010). Réalisation : Katell Quilleveré. Scénario : Katell Quilleveré et Mariette Désert. Chef-Opérateur : Tom Harari. Production : Les Films du Bélier. Distribution : Sophie Dulac Distribution. Durée : 92 mn.

Avec : Clara Augarde (Anna), Lio (Jeanne, la mère) ; Michel Galabru (le grand-père) ; Stefano Cassetti (le père François) ; Youen Leboulanger-Gourvil (Pierre) ; Thierry Neuvic (Paul, le père).
sorti le 4 août 2010.

chronique sur Tadah ! Blog

J'imagine qu'il n'est nul besoin de vous présenter le sujet de "Des Hommes et des Dieux" (Grand Prix du Jury à Cannes), tant les médias ont salué à juste titre en détail la sortie de ce nouveau film de Xavier Beauvois.

Un sujet d'ailleurs assez surprenant de la part du metteur en scène habituellement urbain et réaliste de "Nord" ou du "Petit Lieutenant".

Mais cette tragique affaire de l'enlèvement puis de l'assassinat des moines de Tibhirine appartient de fait à tous et s'avère être un de ses meilleurs films, et surtout une oeuvre d'une constante dignité.

Refusant de faire un quelconque film-dossier qui expliciterait les circonstances de leur disparition et évitant toute volence racoleuse, Beauvois s'attache surtout à cette communauté d'hommes modestes exilé en Algérie, leur enracinement profond dans une population négligée pour laquelle, quoi qu'étant moines, ils sont devenus repères vitaux.

Et par là-même, il touche ainsi aux racines de leur foi, se traduisant par un engagement complet, une fraternité de fait réellement vécue, dénuée de toute vanité mystique et d'une constante humilité.

Existences simples, faites de tâches, rituels et devoirs qu'une mise en scène à hauteur d'homme filme comme un livre des Travaux et des Jours. Constamment perçus comme naturellement intégrés à cette rude région de l'Atlas - splendide photo de Caroline Champetier faisant écho discrètement à certaine tradition picturale, Le Caravage ou Claude Le Lorrain - Xavier Beauvois nous fait ressentir, face à la menace terroriste grandissante, le caractère crucial du choix de quitter ou pas le monastère, exposé par Frère Luc, arbitre de leur contradictions (Lambert Wilson).

Car, touchant non seulement aux fondamentaux de leur foi parfois vacillante devant l'adversité, mais aussi révélant tous les tourments qui les assaillent, les débats qui les animent et qui ne pourront conduire qu'à leur sacrifice, restituent à ces hommes d'église toute leur fragile humanité, susceptible de soulever chez le spectateur un questionnement sur ses propres choix personnels dans l'existence.

On comprendra d'autant moins certaine critique parisienne grincheuse, lue ici et surtout , qui, se laissant prendre au piège de l'aspect quotidien dépeint de leur existence, reprocherait au film son "manque de spiritualité ou de grâce" ? Vraiment, no comment.
Évitant tout illustration saint-sulpicienne, ce film épuré mais jamais austère, s'appuie de plus sur une interprétation au diapason, sans "performance" gênante, juste inspirée et habitée.

On retiendra, en toute subjectivité : Jacques Herlin, très touchant dans le rôle du doyen frère Amédée, le royal et malicieux frère Luc, médecin incarné par un toujours génial Michael Lonsdale, ou Philippe Laudenbach, sensible et tourmenté frère Célestin.

Après la (déjà célèbre scène) de leur repas final au son de Tchaïkovsky, le film se permet de conclure sur un blanc infini. Celui d'un tourbillon de neige qui ravit ces hommes à nos yeux, mais qui les inscrira pour longtemps dans notre mémoire.


"Des hommes et des dieux" (France, 2010). Réalisation et scénario : Xavier Beauvois. Chef-Opérateur : Caroline Champetier. Production : Why Not Productions. Distribution : Mars Distribution. Durée : 120 mn.

Avec : Lambert Wilson (Christian) ; Michael Lonsdale (Luc) ; Olivier Rabourdin (Bruno) ; Jacques Herlin (Amédée) ; Philippe Laudenbach (Célestin) ; Loïc Pichon (Jean-Pierre) ; Xavier Maly (Michel) ; Jean-Marie Frin (Paul) ; Sabrina Ouazani (Rabbia) ; Abdelhafid Metalsi (Nouredine).
sorti le 8 septembre 2010.

chroniques sur Hop Blog et De l'autre côté, perché avec le blanc lapin

lundi 27 septembre 2010

Memory Of The 80's, still (8). AZTEC CAMERA & ICICLE WORKS

Éloigné de tout clavier, écran ou souris d'ordinateur depuis jeudi, en raison d'une visite familiale qui donna lieu à un sympathique weekend, retour avec plaisir à la vie bloguesque avec un "Memory of the 80's" qui aurait dû voir le jour la semaine dernière.
Et, du coup, deux artistes pour le prix d'un. Deux groupes anglais qui apparurent la même année 1983 et qu'on pourrait regrouper sous l'appellation non officielle de "pop ligne claire".
Car les années 80 britanniques ne se limitaient pas à la techno-pop synthétique, la "new" ou "cold" wave, mais virent aussi de plus discrets artisans, au son intimiste et à la fraîcheur pop-rock juvénile toujours active maintenant.

Un exemple avec le titre "Oblivious", petite bulle de pop acoustique légère, emblématique du style gracile du groupe Aztec Camera, ici capté en scène cette même année 1983 :



Caché derrière cette formation au nom plutôt sibyllin, le très jeune (17 ans) auteur-compositeur écossais et surtout guitariste surdoué Roddy Frame proposait un des albums les plus frais, naïfs et sincères de l'époque, "High Land, Hard Rain".
Une collection de sympathiques chansons pop, où brille son virtuose jeu de guitare acoustique, d'inspiration flamenco-jazz hispanisante, style assez inhabituel sur la scène pop.

La rumeur raconte même que le guitariste Johnny Marr des légendaires Smiths composa la musique du célèbre "This Charming Man" après avoir écouté la partie de guitare "tricoteuse" de Frame sur "Walk Out To Winter", autre extrait visible sur cette vidéo apparemment filmée au réveil d'un Roddy Frame décoiffé :


Ce "High Land, Hard Rain" fort recommandable constitue une excellente porte d'entrée pour redécouvrir le talent de ce musicien doué reconnu par ses pairs, comme Mick Jones de Clash qui l'accompagna en tournée ou Mark Knopfler et Ryuichi Sakamoto qui produisirent chacun un de ses albums, respectivement "Knife" en 1984 et "Dreamland" en 1993.












Un parcours qui ne l'évitera pas toutefois de tomber dans une variété-pop mainstream et un son trop lisse et calibré. Mais pas dans cet album du début toujours séduisant, car à la fois modeste et brillant, et témoignant d'une certaine innocence typique de la jeunesse.
 
Tracklist :
1. Oblivious
2. The Boy Wonders
3. Walk Out To Winter
4. The Bugles Sounds Again
5. We Could Send Letters
6. Pillar To Post
7. Release
8. Lost Outside The Tunnel
9. Back On Board
10. Down The Hip
11. Haywire
12. Orchid Girl
13. Queen's Tattoos

Oblivious et Walk Out To Winter sur la Mini Playlist 80's
 
Jeunesse qui caractérisait aussi les très méconnus Icicle Works qui, à la même période, composaient parmi les plus belles pop-songs fougueuses de l'époque. Ainsi ce "Love Is A Wonderful Colour" à la mélodie exaltée qui fut un beau succès en Grande-Bretagne, toujours en 1983... 

... et l'une de mes madeleines musicales les plus précieuses - année 1983-1984, te revoilà donc ? - et les mieux conservées du fait de la popularité assez restreinte de la chanson, à retrouver dans ce clip automnal de saison :



Emmené par Ian McNabb, ce groupe de Liverpool composa avec son premier album éponyme un disque situé entre la pop intimiste adolescente et le rock le plus débridé, typique de la vague néo-psychédélique qui touchait alors la région liverpudlienne. Ce qui leur valut de devenir une sorte de chaînon manquant entre Echo & The Bunnymen ou les fantasques Teardrope Explodes du très déjanté Julian Cope et des cousins des valeureux Pale Fountains.

Un second titre, "Whisper To A Scream (Birds Fly)" témoigne bien de leur flamboyance juvénile assez touchante de l'époque et méritoire : parvenir à chanter dans une tempête de feuilles, moi je dis bravo !


Sur la longueur, Icicle Works devint au fur à mesure du temps une sorte de formation de seconde division, souffrant du manque de charisme de ses musiciens et d'un style très référencé 70's assez pataud qui, en-dehors de l'Angleterre, n'attira guère l'attention.
Splits, changements de personnel - le batteur Chris Sharrock s'illustra ensuite chez The La's ou Oasis - et réactivations régulières ponctuent la carrière assez chaotique et inégale de ces éternels Poulidor british.


Tracklist :
1. Chop The Tree
2. Love Is A Wonderful Colour
3. Reaping The Rich Harvest
4. As The Dragonfly Flies
5. Lover's Day
6. In The Cauldron Of Love
7. Out Of Season
8. Factory In The Desert
9. Birds Fly (Whisper To A Scream)
10. Nirvana

"The Icicle Works" 1984 (Beggars Banquet) ♥♥♥ disponible sur deezer
Whisper To A Scream (Birds Fly) et Love Is A Wonderful Colour sur la Mini Playlist 80's
 
Raison de plus pour les redécouvrir jeunes et fringants, sur ce premier opus. Et parfois, un seul disque, voire un seul titre, suffit à marquer les mémoires en constituant une photo sonore très évocatrice d'une période.

C'est bien le cas avec les premières livraisons de ces deux groupes, qui éveilleront sans doute chez les uns des souvenirs d'enfance ou de pré-adolescence enfouis, et chez les autres, je l'espère, juste leur curiosité musicale pour une époque déjà fort lointaine.

mercredi 22 septembre 2010

CHANSON. Katerine vs Bertrand Belin

















J'ai pris goût au principe... Profitant du hasard qui a vu paraître ce lundi 20 septembre les nouveaux albums de deux artistes de la scène française, voici donc encore un petit match : à ma gauche, le trublion absurde Philippe Katerine ; à ma droite, le discret et mystérieux Bertrand Belin.

On se réjouissait de retrouver la fantaisie et l'imagination du plus imprévisible des chanteurs français, Katerine le dandy farfelu, d'autant que sa dernière livraison "Robots après tout", qui contre toute attente l'avait propulsé "vedette décalée", remontait déjà à cinq ans.

Précédé au printemps de "Bla Bla Bla" et surtout du déjà culte et discrètement subversif "La Banane", ce nouvel opus se distingue, non seulement par sa pochette volontairement kitsch déjà détaillée ici, mais aussi par son concept de 24 chansons-vignettes, aux textes courts en forme de slogans.

Autant de mini-tableaux, parfois acides, épinglant l'absurdité de nos vies quotidiennes ("il parle dans la rue avec un Té-lé-phone") bâtissant une chanson sur une célèbre Musique d'ordinateur, tombant amoureux d'un accord musical (La Musique) ou réécrivant à sa façon la devise nationale (Liberté).

Démarche pas inintéressante, cher Monsieur Blanchard... Seulement, une fois accoutumé à ces iconoclastes pochades de non-sens, dont certaines vraiment hilarantes (Comment tu t'appelles ? Philippe !!!) force est de reconnaître que leur impact s'évente rapidement et qu'elles s'évaporent presque de suite.

La raison principale est surtout le gros manque musical ressenti, peu d'arrangements, ainsi que des tics vocaux assez lassants. Au moins, dans le disque précédent, il y avait une atmosphère (électro-dadaïste) et de vraies chansons, dont la très belle "78-2008".

Ici, se limitant à des formules-slogans se voulant parfois paradoxalement trop porteuses de sens (les "signifiants" Bien Mal ou Juifs Arabes) ou du bâclé pas mémorable (J'aime tes fesses, À toi-À toi, assez irritantes) notre ami situationniste fan de l'Oulipo livre une sorte de pétard un peu mouillé, certes éminemment sympathique, mais trop volatile car vite digéré.


Plus touchant quand il brode sur des détails qu'on devine intimes (Parivélib', Sac en plastique ou Vieille chaîne), on en arriverait à préférer le Katerine qui s'éclate musicalement dans son exercice de reprises hebdomadaires auxquel il s'adonne depuis janvier dernier, disponible en cliquant ici.

Excusez du peu : des "classiques" inscrits dans la mémoire collective comme Capri c'est fini, C'est la ouate, Maman a tort, Papayou, C'est lundi, etc... repris avec des potes musiciens méchamment barrés. Anecdotique sans doute, mais finalement plus vivant et plus jouissif.
 
Allez, sans rancune, Philippe. À vérifier sur scène, peut-être plus propice à un joyeux délire festif...
 
Katerine. "Philippe Katerine" (Universal Music) ♥
à découvrir en digital sur Deezer et sortie de l'album le 27 septembre
chroniqué sur Hop Blog et Des Oreilles dans Babylone




Autant vous le dire : difficile de faire plus différent que Katerine avec le disque de l'outsider Bertrand Belin.

Guitariste doué ayant collaboré avec des artistes comme Néry, Nosfell et même ... Bénabar (mais il y a prescription), le discret Bertrand nous invite à un étrange voyage musical sur son nouvel album "Hypernuit".

Étrange car feutré, et comme détaché des contingences terrestres, le musicien nous convie en des terres qui semblent de prime abord arides et désolées, accompagnement musical dépouillé oblige.

Sur le magnifique "Hypernuit" morceau qui donne son nom à l'album, le titre ne ment pas : le climat est bien à la nuit tombée, du style voyageur égaré en rase campagne.
Texte évocateur d'une vengeance à venir, mystérieux et elliptique, accords folk de guitare obsédants et surtout voix profonde de Belin, grave et détachée, au phrasé déstabilisant découpant curieusement les syllabes, seule afféterie qui risque d'agacer certains.
Certains citent déjà Bashung pour quelques similitudes musicales et vocales, mais cela me rappelle aussi le climat entre chien et loup des albums de Rodolphe Burger, sans compter la voix.

Expérience envoûtante, le disque ne se laisse pourtant pas apprivoiser si vite. Il faut y revenir car son apparente monotonie pourrait laisser croire qu'il n'est pas vraiment habité par son auteur.
 
Aspect trompeur : les très abordables "Avant les forêts" ou "La chaleur" ourlés d'une jolie voix féminine séduisent de suite, mais une longue pièce comme "Tout a changé" ou le sombre "Ne sois plus mon frère" intriguent encore plus, par l'hermétisme des textes peut-être - Belin dit avoir créé et chanté les textes directement sur les musiques - mais aussi par le caractère d'intensité distante, un peu inquiétante, mais toujours élégante.
Avec ce troisième album, après Bertrand Belin (2005) et La Perdue (2007), Belin s'inscrit dans le renouveau d'artistes comme Arman Méliès, Bastien Lallemand, Florent Marchet ou Arnaud Fleurent-Didier, jeunes chanteurs développant chacun à leur façon une chanson d'auteur, étoffant année après année leur univers.

En dépouillant sa musique et son inspiration, l'insaisissable Belin pose ici le jalon d'une carrière à venir qui devrait s'avérer plus que prometteuse...
 
Bertrand Belin. "Hypernuit" (Wagram Music/Cinq 7) ♥♥♥

Résultat : victoire finale de la rigueur Belinesque sur la fantaisie Katerinesque

lundi 20 septembre 2010

CINÉMA. Oncle Boonmee vs Poetry : match Thaïlande-Corée

Vite, avant de prendre trop de retard par rapport aux sorties cinéma, retour sur deux films asiatiques qui ont fait l'actualité cette rentrée, tous deux primés en mai dernier à Cannes, opposés ici dans un petit match. Alors, Thaïlande ou Corée ?
Impossible de l'ignorer : la Palme d'or revint à "Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures" pourquoi pas encore plus long, le titre ? le dernier opus du chouchou des critiques : Apichatpong Weerasethakul.
Mais il n'est pas certain qu'en l'honorant ainsi, le jury cannois lui ait vraiment rendu service...
Ceux qui connaissaient déjà l'oeuvre avant-gardiste radicale (Tropical Malady) de AW savaient à quoi s'attendre. Mais une bonne partie des autres a dû repartir en se disant que, vraiment, les films de festival, ce n'était pas pour eux...
Et avouons qu'on ne rentre pas dans cet univers sans quelque avertissement.
Alors, oui, bien que vendu comme "film de fantômes", nul effet grand-guignol dans ce cinéma formaliste plus proche de l'installation conceptuelle que des films de revenants nippons du genre "Ring".
Sans oublier l'inspiration bouddhique et animiste au coeur de cet essai cinématographique, où l'on voit le brave paysan Boonmee, atteint de maladie rénale et bientôt mourant, être visité par les anciennes formes de ses vies passées ou les fantômes de sa femme et son fils disparus. Avouons qu'il faut surtout accepter de s'abandonner au climat et au rythme somnambulique de ce film aussi calme qu'un lac immobile, accepter sa lenteur zen à la volonté hypnotique qui repose d'ailleurs, du moins au début.

Basé sur le principe "less is more" , le cinéma d'AW se veut expérience de sensations, immersion dans les divagations d'un auteur pour qui les réincarnations successives décrites sont autant souvenirs cinéphiliques (le fameux homme-singe = la "Bête" de Cocteau ?) que vies fantasmées.

Le gros hic, c'est qu'une fois adapté à cet univers parfois d'une indéniable singularité plastique - la scène du singe aux yeux rouges ou de la princesse détaillée plus bas - et une bande-son travaillée (trop?) - sur la longueur, on est plus indifférent que fasciné par ce film-dispositif théorique qui tourne vite à la prétention poétique "arty."
...D'ou l'ennui sidéral éprouvé par beaucoup. Quoique, rayon ennui, j'ai vécu pire avec des films comme "Miel", actuellement à l'affiche ou "My Joy", sinistre film russe.
Selon donc votre degré d'investissement, vous serez intrigués - au début - ou alors vite assoupis par ce film étale sans aspérités, au ton détaché constant. "Tropical Malady", même hermétique, avait au moins le mérite de surprendre (film coupé en deux, une partie réaliste, l'autre onirique) au moins d'attirer l'attention ou d'inquiéter.

Ici, malgré sa conception morcelée - chaque bobine raconte une séquence différente - l'absence d'intensité n'aide pas à s'impliquer dans ce projet conceptuel et désincarné, dont seule la séquence de la princesse et du poisson déroge, par son côté érotico-baroque qui finit en abstraction pure, à la volonté minimaliste d'une oeuvre qui, jusque dans son dénouement ubiquiste, refuse toute interprétation.

Nul doute qu'il corresponde au monde très intérieur de son auteur, mais face à ce film rarement sensuel en forme de bloc monolithe sans aspérités, même le spectateur le mieux intentionné est presque constamment tenu à distance.
Et voilà qui ne justifie pas le délire de louanges des critiques parisiens (Le Monde, Les Inrocks, Libé). Mais s'en étonnera-t-on ?
L'adage veut qu'une oeuvre artistique réussie parte du local et du particulier pour aller vers l'universel : en conservant ses codes personnels, Weerasethakul ne parle ici que de lui et détourne malheureusement le spectateur de son univers savamment verrouillé.


"Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures" (Thaïlande, 2010). Réalisation et scénario : Apichatpong Weerasethakul. Chef-Opérateur : Yukontorn Mingmonkon. Production : Kick The Machine Films/Illuminations Films. Distribution : Pyramide Films. Durée : 115 mn.
Avec : Tahanapat Saisaymar (Oncle Boonmee), Jenjira Pongpas (Jen), Sakda Kaewbuadee (Tong).
sorti le 1er septembre 2010.
critique plutôt agacée sur De l'autre côté... et plus conciliante sur Culturopoing
Passons à la Corée : "Poetry" (n') est reparti de Cannes (qu') avec le Prix du Scénario, alors que ce beau film accompli aurait fait une parfaite Palme d'Or. Trop classique, trop évident, pour le jury de Tim Burton ?

Pourtant, "Poetry", le nouveau film de Lee Chang-Dong, l'auteur de "Peppermint Candy" et "Secret Sunshine", est bien un des films les plus subtils et les plus justes vus cette année.

Et un magnifique portrait de femme, fragile et isolée aux prises avec une existence ingrate, un peu comme la "Mother" du dernier Bong Joon-Ho, en moins romanesque.

Sur le papier, on craint le pire : ... une grand-mère courage, aide-ménagère exploitée, bientôt atteinte d'Alzheimer, apprend que son petit-fils dont elle a la charge, a participé à un acte odieux ayant entraîné une jeune fille au suicide. Il y a sujet plus léger...
Et pourtant, jamais le film ne verse dans la moindre complaisance.
C'est au contraire un beau film humaniste, au ton grave évidemment, mais qui, au-delà d'une prestation magnifique d'actrice - la comédienne Yun Jung-hee, touchante Mija, si naïve, si polie, si perdue - est aussi la radiographie au scalpel d'une société coréenne aux valeurs dégradées perdant ses repères.

... Où les parents des coupables monnayent sans états d'âme et pas bien cher la vie de la victime. ... Où une grand-mère est ignorée, voire méprisée par son petit-fils indifférent et ingrat. ... Où une vieille dame un peu sensible est régulièrement déconsidérée, niée, à peine acceptée.
En cherchant à s'initier à la poésie et écrire avec peine un poème, Mija semble vouloir donner un sens à toute cette douleur, cette indifférence sans pitié.
Structure narrative subtile d'un film, qui par strates successives et scènes additionnées formant un tout, nous donne à voir l"ultra-moderne solitude" de mise en ce monde, et sa barbarie ordinaire. La quête de la beauté poétique devient alors quête de sens et d'un certain apaisement.

Et ici, la lenteur du rythme et l'ampleur du film ne sont pas poses d'auteur, mais transcrivent à merveille le lent cheminement émotionnel et artistique d'une femme qui, partie négocier la liberté de son petit-fils, perd de vue son but en chemin pour demeurer soudain émerveillée par la beauté de la nature et du monde.

Sublime scène centrale, emblématique d'un film lucide et digne, parfois drôle, et duquel sourd comme une inquiétude aiguë. ...Sans oublier sa belle et digne conclusion, que je tairai.
Ici, à l'inverse d"Oncle Boonmee", le particulier a bien débouché sur le général. ... Car ce monde hostile décrit par Lee Chang-Dong, c'est bien le nôtre à tous. Et son film sonne comme un bel appel à un réveil nécessaire.

Un film à voir absolument...


"Poetry" (Thaïlande, 2010). Réalisation et scénario : Lee Chang-Dong. Chef-Opérateur : Kim Bada. Production : Pine House Films et Michel Saint-Jean. Distribution : Diaphana. Durée : 150 mn.
Avec : Yoon Jung-hee (Mija), David Lee (Wook), Kim Hira (le Président), Ahn Naesang (le père de Kibum).
sorti le 25 août 2010.
critique positive aussi sur Tadah! Blog
Verdict sans appel : la Corée vainqueur sur la Thaïlande par K.O...