mercredi 15 septembre 2010

LECTURES D'ÉTÉ (fin). Jonathan Safran Foer

Dernière étape de mes lectures d'été, il serait temps, arrivés à mi-septembre.
Direction New York, mais une "Big Apple" meurtrie par le souvenir du 11 Septembre dont on vient de commémorer le neuvième sinistre anniversaire, avec le roman du jeune Jonathan Safran Foer.

"Extrêmement fort et incroyablement près", un titre compliqué qu'on retient paradoxalement fort bien, pour ce livre mémorable, deuxième ouvrage d'un jeune auteur brillant et aussi un peu agaçant, pur produit de la scène intellectuelle new-yorkaise.
Intellectuel, mais pas du tout hermétique, Jonathan Safran Foer a construit un ouvrage à l'histoire forte, non exempt de certains artifices, mais qu'on peut considérer comme un des romans américains post-11 septembre les plus touchants, avec "La Belle Vie" de Jay McInerney.

Un livre qui épouse le point de vue d'Oskar Schell, enfant surdoué de neuf ans, qui va entreprendre un périple dans New York le jour où il découvre une enveloppe au revers de laquelle est inscrit le mot "Black", et surtout une clé dans le dressing de son père disparu dans les Twin Towers des attentats du "9/11".

Une démarche entreprise comme un long travail de deuil, un récit inventif au charme évident et souvent émouvant.

À l'image de son précoce petit héros (inventeur, génie en mathématiques, pacifiste, collectionneur en tout genre dont les souvenirs des Beatles) "Extrêmement fort et incroyablement près" est un livre multi-facettes, à la forme déstructurée interactive : typographie chamboulée (mots corrigés en rouge), courrier, pages de photos, codes d'accès divers... plutôt inventive.
Mais sans que ces fantaisies éditoriales n'apparaissent comme des gadgets gênant la lecture ou n'entravent l'empathie éprouvée envers ce touchant petit garçon, obstiné à résoudre la disparition de son père.

Extrait :
"C'était toujours papa qui venait me border, il racontait des histoires magnifiques, on lisait le New York Times ensemble, et des fois il sifflait "I Am the Walrus" parce ce que c'était sa chanson préférée, alors qu'il ne pouvait pas expliquer ce qu'elle voulait dire, à ma grande frustration.
Quand papa était venu me border ce soir-là, la veille du pire jour, je lui avais demandé si le monde était plat, si c'était une plaque sur le dos d'une tortue géante".

Un roman qui permet aussi à son auteur de dresser le tableau d'une ville meurtrie en quête d'espérance.
Parti dans une véritable quête, Oskar ira, malgré ses nombreuses peurs et phobies, à la rencontre des nombreuses familles "Black" de la ville, adultes un peu tristes ou perdus, et souvent moins lucides et matures que lui.

Au bout du chemin, la révélation de l'histoire de sa famille, composée d'une mère présente-absente, une fantasque grand-mère et un grand-père mystérieusement muet.
La douleur des racines familiales : un thème déjà au coeur de "Tout est illuminé", le premier roman de Safran Foer, qui se double ici d'un très touchant hommage d'un fils envers son père.

Toutes ces évidentes qualités ne m'empêchent cependant pas de regretter l'aspect artificiel de certaines réflexions et "pensées profondes" d'Oskar, qui font un peu pensées d'adultes mises dans la bouche d'un enfant :
"J'avais lu le premier chapitre d''Une brève histoire du temps" de Stephen Hawking quand papa vivait encore et ça m'avait collé des semelles de plomb incroyablement lourdes de lire à quel point la vie est relativement insignifiante et que (...) mon existence n'a pas la moindre importance".

... Et mes dernières réserves porteront sur de gênantes similitudes avec un ouvrage précédent, l'excellent "Le Bizarre incident du chien pendant la nuit" (2003) de Mark Haddon où le monde était déjà vu à travers les yeux d'un enfant différent, autiste ici, et la même abondance de notes, photos, cartes dans la structure éditoriale du livre. *

* de façon moins marquée, on pense aussi un peu à "La Maison des Feuilles" (2002) de Mark Danielewski, sommet du livre post-moderne, pour la similaire construction "expérimentale" avec ses audaces typographiques, photographiques, fantastiques, mais le sujet n'est pas comparable...

Bon, même si ce n'est pas très beau de copier sur ses confrères, Monsieur Safran Foer, on recommandera tout de même la lecture de votre livre attachant quand même, bientôt adapté au cinéma, tombeau littéraire inspiré, hommage cathartique à toutes ces victimes tombées des tours.

Et avant de voir son improbable adaptation par Hollywood avec Sandra Bullock (!) dans le rôle de la mère et aussi Tom Hanks, murmure-t-on, accompagnez donc Oskar dans son touchant périple.
Rien que pour la vibrante émotion éprouvée aux toutes dernières pages, il faut lire ce singulier roman.












Extrêmement fort et incroyablement près, Éditions de l'Olivier, 2006 et Points Seuil, 2007, 544 pages, 7,60 €

À lire également : Tout est illuminé, Éditions de l'Olivier, 2003 et Points Seuil, 2004, 416 pages, 7,10 €

Voilà, les "Lectures d'été" c'est fini. Mais on n'a pas fini de parler livres ici, n'ayez crainte...

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