lundi 20 septembre 2010

CINÉMA. Oncle Boonmee vs Poetry : match Thaïlande-Corée

Vite, avant de prendre trop de retard par rapport aux sorties cinéma, retour sur deux films asiatiques qui ont fait l'actualité cette rentrée, tous deux primés en mai dernier à Cannes, opposés ici dans un petit match. Alors, Thaïlande ou Corée ?
Impossible de l'ignorer : la Palme d'or revint à "Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures" pourquoi pas encore plus long, le titre ? le dernier opus du chouchou des critiques : Apichatpong Weerasethakul.
Mais il n'est pas certain qu'en l'honorant ainsi, le jury cannois lui ait vraiment rendu service...
Ceux qui connaissaient déjà l'oeuvre avant-gardiste radicale (Tropical Malady) de AW savaient à quoi s'attendre. Mais une bonne partie des autres a dû repartir en se disant que, vraiment, les films de festival, ce n'était pas pour eux...
Et avouons qu'on ne rentre pas dans cet univers sans quelque avertissement.
Alors, oui, bien que vendu comme "film de fantômes", nul effet grand-guignol dans ce cinéma formaliste plus proche de l'installation conceptuelle que des films de revenants nippons du genre "Ring".
Sans oublier l'inspiration bouddhique et animiste au coeur de cet essai cinématographique, où l'on voit le brave paysan Boonmee, atteint de maladie rénale et bientôt mourant, être visité par les anciennes formes de ses vies passées ou les fantômes de sa femme et son fils disparus. Avouons qu'il faut surtout accepter de s'abandonner au climat et au rythme somnambulique de ce film aussi calme qu'un lac immobile, accepter sa lenteur zen à la volonté hypnotique qui repose d'ailleurs, du moins au début.

Basé sur le principe "less is more" , le cinéma d'AW se veut expérience de sensations, immersion dans les divagations d'un auteur pour qui les réincarnations successives décrites sont autant souvenirs cinéphiliques (le fameux homme-singe = la "Bête" de Cocteau ?) que vies fantasmées.

Le gros hic, c'est qu'une fois adapté à cet univers parfois d'une indéniable singularité plastique - la scène du singe aux yeux rouges ou de la princesse détaillée plus bas - et une bande-son travaillée (trop?) - sur la longueur, on est plus indifférent que fasciné par ce film-dispositif théorique qui tourne vite à la prétention poétique "arty."
...D'ou l'ennui sidéral éprouvé par beaucoup. Quoique, rayon ennui, j'ai vécu pire avec des films comme "Miel", actuellement à l'affiche ou "My Joy", sinistre film russe.
Selon donc votre degré d'investissement, vous serez intrigués - au début - ou alors vite assoupis par ce film étale sans aspérités, au ton détaché constant. "Tropical Malady", même hermétique, avait au moins le mérite de surprendre (film coupé en deux, une partie réaliste, l'autre onirique) au moins d'attirer l'attention ou d'inquiéter.

Ici, malgré sa conception morcelée - chaque bobine raconte une séquence différente - l'absence d'intensité n'aide pas à s'impliquer dans ce projet conceptuel et désincarné, dont seule la séquence de la princesse et du poisson déroge, par son côté érotico-baroque qui finit en abstraction pure, à la volonté minimaliste d'une oeuvre qui, jusque dans son dénouement ubiquiste, refuse toute interprétation.

Nul doute qu'il corresponde au monde très intérieur de son auteur, mais face à ce film rarement sensuel en forme de bloc monolithe sans aspérités, même le spectateur le mieux intentionné est presque constamment tenu à distance.
Et voilà qui ne justifie pas le délire de louanges des critiques parisiens (Le Monde, Les Inrocks, Libé). Mais s'en étonnera-t-on ?
L'adage veut qu'une oeuvre artistique réussie parte du local et du particulier pour aller vers l'universel : en conservant ses codes personnels, Weerasethakul ne parle ici que de lui et détourne malheureusement le spectateur de son univers savamment verrouillé.


"Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures" (Thaïlande, 2010). Réalisation et scénario : Apichatpong Weerasethakul. Chef-Opérateur : Yukontorn Mingmonkon. Production : Kick The Machine Films/Illuminations Films. Distribution : Pyramide Films. Durée : 115 mn.
Avec : Tahanapat Saisaymar (Oncle Boonmee), Jenjira Pongpas (Jen), Sakda Kaewbuadee (Tong).
sorti le 1er septembre 2010.
critique plutôt agacée sur De l'autre côté... et plus conciliante sur Culturopoing
Passons à la Corée : "Poetry" (n') est reparti de Cannes (qu') avec le Prix du Scénario, alors que ce beau film accompli aurait fait une parfaite Palme d'Or. Trop classique, trop évident, pour le jury de Tim Burton ?

Pourtant, "Poetry", le nouveau film de Lee Chang-Dong, l'auteur de "Peppermint Candy" et "Secret Sunshine", est bien un des films les plus subtils et les plus justes vus cette année.

Et un magnifique portrait de femme, fragile et isolée aux prises avec une existence ingrate, un peu comme la "Mother" du dernier Bong Joon-Ho, en moins romanesque.

Sur le papier, on craint le pire : ... une grand-mère courage, aide-ménagère exploitée, bientôt atteinte d'Alzheimer, apprend que son petit-fils dont elle a la charge, a participé à un acte odieux ayant entraîné une jeune fille au suicide. Il y a sujet plus léger...
Et pourtant, jamais le film ne verse dans la moindre complaisance.
C'est au contraire un beau film humaniste, au ton grave évidemment, mais qui, au-delà d'une prestation magnifique d'actrice - la comédienne Yun Jung-hee, touchante Mija, si naïve, si polie, si perdue - est aussi la radiographie au scalpel d'une société coréenne aux valeurs dégradées perdant ses repères.

... Où les parents des coupables monnayent sans états d'âme et pas bien cher la vie de la victime. ... Où une grand-mère est ignorée, voire méprisée par son petit-fils indifférent et ingrat. ... Où une vieille dame un peu sensible est régulièrement déconsidérée, niée, à peine acceptée.
En cherchant à s'initier à la poésie et écrire avec peine un poème, Mija semble vouloir donner un sens à toute cette douleur, cette indifférence sans pitié.
Structure narrative subtile d'un film, qui par strates successives et scènes additionnées formant un tout, nous donne à voir l"ultra-moderne solitude" de mise en ce monde, et sa barbarie ordinaire. La quête de la beauté poétique devient alors quête de sens et d'un certain apaisement.

Et ici, la lenteur du rythme et l'ampleur du film ne sont pas poses d'auteur, mais transcrivent à merveille le lent cheminement émotionnel et artistique d'une femme qui, partie négocier la liberté de son petit-fils, perd de vue son but en chemin pour demeurer soudain émerveillée par la beauté de la nature et du monde.

Sublime scène centrale, emblématique d'un film lucide et digne, parfois drôle, et duquel sourd comme une inquiétude aiguë. ...Sans oublier sa belle et digne conclusion, que je tairai.
Ici, à l'inverse d"Oncle Boonmee", le particulier a bien débouché sur le général. ... Car ce monde hostile décrit par Lee Chang-Dong, c'est bien le nôtre à tous. Et son film sonne comme un bel appel à un réveil nécessaire.

Un film à voir absolument...


"Poetry" (Thaïlande, 2010). Réalisation et scénario : Lee Chang-Dong. Chef-Opérateur : Kim Bada. Production : Pine House Films et Michel Saint-Jean. Distribution : Diaphana. Durée : 150 mn.
Avec : Yoon Jung-hee (Mija), David Lee (Wook), Kim Hira (le Président), Ahn Naesang (le père de Kibum).
sorti le 25 août 2010.
critique positive aussi sur Tadah! Blog
Verdict sans appel : la Corée vainqueur sur la Thaïlande par K.O...

3 commentaires:

  1. voilà deux films que je veux absolument voir... j'adore le cinéma asiatique (comme la cuisine aussi :))
    mais j'ai peu de temps actuellement et délaisse depuis plusieurs mois les grands écrans noirs !

    j'ai beaucoup entendu de bien pour Poetry et Oncle Boonmee me fascine par son aspect OVNI

    à suivre

    merci l'ami pour tes chroniques si détaillées et alléchantes

    amitiés

    chistokitano...

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  2. Si tu n'as pas le temps d'aller au ciné, ce sera alors l'objet de futures soirées DVD d'ici quelques mois...

    J'espère que mes chroniques ne sont pas TROP détaillées : à chaque fois, je veux faire plus synthétique, mais rien à faire, c'est toujours un peu long !

    Merci en tout cas :-)

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  3. salut l'ami,

    à non, non elles ne sont pas trop détaillées... au contraire tu arrives à faire ce que je ne sais faire, des textes construits, critiques et avec une analyse... moi c'est la synthèse du moment... deux styles... sur une même blogophère !
    continue comme cela, c'est comme cela que j'aime les chroniques de Blake...

    amitiés

    shortchristo

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