vendredi 2 décembre 2011

LE CINÉ DE L'HIVER. Curling de Denis Côté

Suite de la thématique hivernale improvisée de cette semaine avec une virée impromptue dans la nature blanche du Québec. Une blancheur suspendue et aveuglante, un chemin de traverse apparemment douillet et confortable, mais en fait étrange et perturbant : "Curling", bon exemple du cinéma hors-normes original pratiqué par le québécois (du Canada) Denis Côté.

Un nom peu familier chez nous, "Curling" étant son premier film correctement distribué en France, le reste de sa filmographie ayant été abondamment montré et récompensé dans les festivals (Locarno, Rotterdam, La Rochelle) dont il est manifestement un favori.

Ce statut "d'auteur bien vu" et les références cinéphiliques sérieuses affichées par l'artiste (Pialat, Fassbinder) peuvent effrayer de prime abord ainsi que le souvenir personnel de son "Carcasses" vu à La Rochelle, déconcertant objet entre documentaire, happening et cinéma en évolution.

Pourtant avec ce nouveau film plus narratif, le cinéma tenté par le formalisme mais elliptique et intrigant du bonhomme mérite votre curiosité. Un voyage de cinéma dont il ne nous fournit pas (à dessein) tous l'itinéraire et les codes, une plongée sans approche psychologique dans l'intimité d'une petite cellule familiale isolée par Jean-François, un père renfermé surprotégeant dans leur maison sans âge sa grande petite fille coupée de l'école et le plus possible du reste du monde.

Étrange récit dont le talent est de nous faire prendre comme banales des situations pour le moins anormales : cette micro-famille aux règles strictes, ce père, triste employé de motel et de bowling qui semble si peu vivre, aimant mais asphyxiant, comme ce blanc hivernal étouffant.
Toute une soi-disant "normalité" si soigneusement décrite (rituels répétitifs, mornes taches du bowling) que soudain des évènements étranges dignes d'un film noir vont faire dérailler.

Ou plutôt "devraient" ! Car comme dans un rêve inquiétant, malgré l'irruption de l'insolite (un tigre dans la neige) et de la morbidité (morts et disparitions inexpliquées), rien ne semble vouloir rompre le fil de l'existence pseudo-banale du sclérosant Jean-François, excellent Emmanuel Bilodeau et de sa fille Julyvonne, douce Philomène Bilodeau.
Comme dans un songe déformé, c'est ainsi la poursuite coûte que coûte de ce quotidien qui rend l'existence absurde et effrayante à la lecture des éléments horribles découverts dont Denis Côté ne tiendra jamais à donner l'exacte résolution.

Cinéma suggestif qui fait confiance au spectateur et sa part d'extrapolation (bonne nouvelle!), "Curling" emprunte à la fois au conte onirique lynchien, au documentaire social, au thriller horrifique (aux lointains échos de Fargo ou Pychose).
Mais pour mieux s'en dégager par la dérangeante bulle d'opacité que dégagent ces deux vies à l'arrêt, "l'inquiétante étrangeté" de cet isolement anxiogène d'un père qui vacille soudain face à l'incapacité d'éloigner les dangers du monde de l'innocence de sa fille et de leur vie isolée.

Un isolement, une sorte de mort permanente plus perturbante même que le plus sombre des polars : "Vivre, c'est risquer", nous murmure ce film troublant, que son aspect âpre additionné d'un humour tendre et loufoque émaillé d'expressions locales ("Toi, t'es celui qui se réfugie dans un lac pour échapper à la pluie!") terminent de rendre singulier.

Si on peut au passage y entendre (comprendre, comptez pas sur moi!) les règles du bizarre jeu de curling, c'est surtout l'occasion d'y voir un troublant moment de cinéma non formaté ou pré-mâché :


"Curling" (Canada, 2010) Sorti le 26 octobre 2011
♥♥♥♥
Réalisation et scénario : Denis Côté. Directeur de la photo : Josée Deshaies. Montage : Nicholas Roy. Production : Stéphanie Morrissette & Denis Côté. Distribution France : Cappricci Films. Durée : 92 mn.

Avec : Emmanuel Bilodeau (Jean-François Sauvageau) ; Philomène Bilodeau (Julyvonne Sauvageau) ; Sophie Desmarais (Isabelle) ; Roc Lafortune (Kennedy) ; Muriel Dutil (Odile) ; Johanne Haberlin (Rosie) ; Yves Trudel (Yvan).

chroniques sur benzine, télérama et le blog d'Olivier Père directeur du Festival de Locarno

entretien avec Denis Côté sur Films du Québec

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