mercredi 24 novembre 2010

CINÉMA. Portraits d'autistes. The Social Network & Le Braqueur

Un petit billet cinéma, dont les deux films choisis ont en commun de retracer, mais de manière bien différente, les parcours de deux individus énigmatiques, anti-héros un peu autistes, comme séparés du monde qui les entoure.

D'abord, même si mon avis arrive bien après la bataille, "The Social Network", sorti il y a déjà plus d'un mois et demi, mais peut-être encore à l'affiche dans certaines salles de grandes villes...

Est-il besoin de rappeler que ce nouveau long métrage du brillant David Fincher retrace l'ascension fulgurante de Mark Zuckerberg, jeune créateur du célébrissime réseau social facebook, ce site qui ne sert à rien et où vous ne me trouverez pas ?

Si j'en parle si tardivement, c'est qu'au sortir de sa vision, j'ai éprouvé un léger sentiment de déception, je vous l'avoue tout de go. Non qu'il m'ait vraiment déplu, mais "The Social Network" était précédé d'une si bonne réputation et de critiques si élogieuses un peu partout, que je m'attendais à plus.
Au crédit du film : déjà le fait qu'il existe (!) - Hollywood sait s'emparer rapidement de phénomènes récents - et une construction narrative en flash-backs efficace au service d'un portrait-dossier fort documenté.
Dossier diablement parlant sur la froide détermination et le caractère fuyant de Zuckerberg, milliardaire à vingt-trois ans et frustré ambitieux sans scrupule dès le début - il a "emprunté" l'idée du futur facebook à des condisciples de Harvard - et son incapacité à nouer de vraies relations humaines durables en dehors de la manipulation.
Allez vous étonner après du côté monopolistique et tordu de facebook ! Un vrai autiste moderne, une énigme jusqu'au bout et qui prend à l'écran le visage juvénile impénétrable de l'excellent Jesse Eisenberg (à gauche, à droite le vrai Zuckerberg).

Mais je n'en dirai pas autant du reste du casting, par exemple, dans la peau d'Eduardo Saverin, l'ex-meilleur ami trahi, le jeune Andrew Garfield, excellent dans le film anglais "Boy A", mais ici au jeu un peu outrancier.


Le reste de la distribution n'est pas non plus à l'aise dans les nombreuses scènes dialoguées fort hystériques (Justin Timberlake s'en sort mieux, dans la peau du créateur retors de Napster).

Scènes trop nombreuses d'ailleurs, le défaut majeur du film, où l'intérêt du spectateur décroît souvent, surtout lors des explications techniques superflues. Façon de dire poliment qu'on peut parfois s'y ennuyer...
Sans compter la solide réalisation de Fincher, grand styliste on en convient (Seven, Benjamin Button) mais qui semble recourir par moment à ses anciens tics tapageurs, comme une scène bizarrement clipée de course d'aviron.
Malgré tout, "The Social Network", est un film intelligent et pertinent sur les coulisses troubles d'une ascension fulgurante, révélateur d'une mutation technologique et sociétale que nous vivons en ce moment-même.
Mais, malgré ce qu'on a pu entendre ici ou là, et ce sera mon plus gros grief, ce ne sera pas à mes yeux le meilleur film de son auteur.
Ce serait oublier un peu vite "Fight Club" et surtout "Zodiac", magnifique film atypique, passionnant thriller-dossier qui me semble plus abouti formellement et captivant de bout en bout, lui...
À signaler : l'excellente B.O atmosphérique signée Trent Reznor...


"The Social Network" (U.S.A., 2010). Réalisation : David Fincher. Scénario : Axel Foy et Aaron Sorkin, d'après le livre-enquête de Ben Mezrich. Chef-opérateur : Jeff Cronenweth. Musique : Trent Reznor. Production : Columbia Pictures. Distribution : Sony Pictures Releasing. Durée : 120 mn.
Avec : Jesse Eisenberg (Mark Zuckerberg) ; Andrew Garfield (Eduardo Saverin) ; Justin Timberlake (Sean Parker) ; Brenda Song (Christy Lee) ; Rooney Mara (Erica) ; Max Minghella (Divya Narendra) sorti depuis le 13 octobre
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Moins médiatisé mais fort recommandable, "Le Braqueur" est un film autrichien, qu'on pourrait aisément prendre vu son sujet, pour un anonyme polar de plus : on y suit l'itinéraire d'un braqueur de banques également marathonien au sortir d'un de ses séjours en prison.
Dans sa cellule, il s'entraînait ; dans la cour, il courait ; en liberté, il court encore ... pour aller braquer des banques de nouveau.
Film étrange et minéral, "Le Braqueur" refuse toute psychologie, voire tout discours superflu.
Un parti-pris radical, mais fascinant de bout en bout, porté par Andreas Lust, un acteur plus vrai que nature dans la peau de ce voleur marathonien.

Un braqueur qui a réellement existé, Johan Rettenberg, qui affola l'Autriche du début des années 80 avec ses casses à répétition - presque comiques dans le film - muni d'un fusil à pompe et recouvert d'un masque, qui ressemble d'ailleurs à son propre visage émacié.
Le réalisateur Benjamin Heisenberg en fait un personnage magnétique, anti-héros obsessionnel qui ne semble vraiment exister qu'en courant et en braquant, sans s'intéresser au passage au produit de ses vols. Son but semble être ailleurs, et le film ne l'expliquera pas...
C'est d'ailleurs ce refus de toute explication psychologique, cette part de mystère respecté - pourquoi jamais il ne songe à une possible réinsertion ? - qui fait la singularité du film, et sa mise en scène au cordeau, toute en épure, est d'une force indéniable. De quoi même donner des lecons à un certain Michael Haneke souvent surestimé ...
Le film ne fait pas l'impasse sur la violence croissante du personnage, qui, en bon autiste, semble indifférent au destin qui lui est réservé.

L'issue fatale se profile, et ne donne que plus de poids aux rares scènes intimes que l'homme vit avec sa patiente compagne (Franziska Weisz).
Rares instants volés, mais qui confirment l'isolement naturel qui constitue Johann, et sa profonde inadéquation au monde, tel un héros de Melville, possible influence du cinéaste.
Le film conservera jusqu'au bout cette tension - les scènes d'action sans les artifices habituels - et réserve sur la fin de mémorables moments de cinéma : ainsi, cette traque impitoyable, quasi vécue à ses côtés. Et le dénouement est d'une rigueur et d'une dignité impeccable, où l'émotion, longtemps refoulée, affleure enfin.
Un film que d'aucuns trouveront peut-être très austère, mais qui par son énergique rigueur, confirme le renouveau du cinéma de l'Est en général, allemand et autrichien.


"Le Braqueur (La dernière course)" (Autriche, 2010). Réalisation : Benjamin Heisenberg. Scénario : Benjamin Heisenberg et Martin Prinz, d'après son livre. Chef-opérateur : Reinhold Vorschneider. Musique : Andreas Schneider. Production : ZDF/Arte. Distribution : ASC Distribution. Durée : 98 mn.
Avec : Andreas Lust (Johann Rettenberger) ; Markus Schleinzer (l'agent de probation) ; Franziska Weisz (Erika) ; Roman Kettner (le concierge) ; Hannelore Klauber-Laursen (la caissière) ; Nina Steiner (la conseillère) sorti le 10 novembre

critique sur Culturopoing

2 commentaires:

  1. le braqueur, j'ai hâte de le voir, il est prévu dans notre ciné celui-là !

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  2. Un film à voir sans hésiter.. Peut-être pas le film de l'année, mais très cohérent et intrigant.
    Par contre, on n'y voit pas l'Autriche des touristes : pas glamour pour un sou le pays sous la caméra d'Heisenberg... ;-)

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