mercredi 23 février 2011

CINÉMA. "True Grit", les Coen en petite forme

Allez, autant le dire sans perdre de temps, même si ça fait un peu de mal à avouer, mais ce quinzième long métrage des Frères Coen, très attendu pour leur première incursion "officielle" dans le western, s'avère plutôt décevant.

Pour leur premier VRAI western donc, les Coen's Brothers ont choisi de moderniser un film mineur de 1969 signé Henry Hathaway, en français "Cent dollars pour un shérif" avec un John Wayne vieillissant en shérif borgne. Le résultat n'est pas honteux, mais...

... de la part de cinéastes si singuliers qui ont, depuis près de 27 ans, renouvelé les codes du thriller et imposé leur vision personnelle - entre noirceur misanthrope, thématique de l'absurde, et violence bouffonne - il me semble qu'on était en droit d'attendre de leur part une relecture des mythes westerniens à leur manière.

Mais ici, leur maîtrise technique coutumière débouche sur un film efficace (encore heureux!) mais étonnamment lisse et (presque) sans aspérités.
Plus une "comédie westernienne" que le western âpre que je m'attendais à voir, le film a le tort de vraiment démarrer très tard, au moins une demi-heure après son début.

Une fois la jeune Mattie/Hailee Stanfield (jeune actrice étonnante d'aplomb, mais jamais émouvante, trop "singe savant") ayant convaincu Cogburn/Jeff Bridges, le vieux marshall porté sur la bouteille, de rechercher Tom Chaney/Josh Brolin, l'assassin de son père, on se dit que cette mise en place laborieuse un peu bavarde (longuette scène de procès) devrait être le prélude d'un western épique et mémorable.

Et puis on déchante assez vite... Bien sûr, tout est là : personnages picaresques, trognes patibulaires, galopades sur fonds de grands espaces sauvages, violence et humour... Mais bien curieusement, sans conviction, tout y semble appuyé, l'humour aussi, et trempe dans les clichés les plus rebattus.

L'interprétation louche vers la parodie appuyée : le numéro de Jeff Bridges en "vieil-alcoolo-râleur-mais-sympa-dans-le-fond" est au-delà du cabotinage et tourne à vide, ainsi que l'abus généralisé de l'accent péquenaud par le reste du casting qui finit par être lassant : Matt Damon incarnant le rival LaBoeuf, bizarremment sous-employé en Ranger à veste à franges, ou Josh Brolin transparent en vilain de service.









Même les éclairs de violence (attendus chez les Coen, après tout c'est leur marque de fabrique) ne suprennent plus vraiment et le déroulement de l'action souvent prévisible, manque de rebondissements et de crédibilité.
Est-on jamais vraiment troublé, ému, dérangé ? Non, à l'image de la jeune Mattie, petit robot sans émotion, on regarde passer ce divertissement habile mais pas marquant, comme les vaches regardent passer les trains et l'ensemble des wagons suit son cours sans jamais sortir de ses voies assez formatées.

Doit-on incriminer Steven Spielberg, co-producteur éxécutif du film pour ce ripolinage culminant en une scène d'action avec des serpents digne d'un Indiana Jones dans une ambiance de conte gothique très Tim Burton, qui confirme le coté quasi-film familial de l'ensemble, avec fin cavalcadesque et épilogue romanesque ?

Ou plus largement, les frères Coen ont-il masqué leur manque d'implication derrière leur maîtrise et leur professionnalisme irréprochable, défaut numéro 1 de beaucoup de productions américaines récentes (Scorsese, Woody Allen, Tim Burton) ?

En fait le plus décevant dans "True Grit" c'est que les Coen, en abordant frontalement le genre hier majeur du ciné U.S. sont loin d'en livrer un nouveau jalon, alors qu'il s'en avéraient plus proches de façon détournée avec leurs précédents "Fargo", "No Country For Old Men" ou leur inaugural et impressionnant "Blood Simple".

Même si leur filmographie n'est pas exempte de ratages (Ladykillers, entre autres), la déception est rude de les voir rater la marche du western.

Ici, on est même en-dessous de certains néo-westerns récents, l'excellent "Assassinat de Jesse James" d'Andrew Dominik ou le très honnête remake de "3h 10 pour Yuma" de James Mangold.
Et le tableau est complet si l'on pense à la géniale série "Deadwood" de David Milch, qui relisait de manière magistrale les figures du genre, entre noirceur grotesque et relecture visionnaire de la naissance de la civilisation américaine.


Une vision plus "coennienne" que nature, en tout cas bien plus que ce "True Grit" impersonnel et bien mineur.
Conseil n°1 : allez donc vous reposer Joel et Ethan, ou au contraire, bossez-donc nous vite un VRAI Coen Brother's movie...

"True Grit" (U.S.A.). Réalisation et scénario : Joel et Ethan Coen d'après Charles Portis. Chef-Opérateur : Roger Deakins. Musique : Carter Burwell. Production : Paramount Pictures et Skydance Productions. Durée : 110 mn.
sorti ce mercredi 23 février 2011

Avec : Jeff Bridges (Rooster Cogburn), Matt Damon (LaBoeuf), Josh Brolin (Tom Chaney), Hailee Steinfeld (Mattie Ross), Barry Pepper ('Lucky' Ned Pepper).



Conseil n°2 : chers frères Coen et Carter Burwell, auteur de la bande originale, évitez-donc de reprendre en générique de fin la chanson de la mythique "Nuit du Chasseur", la comparaison ne plaidant pas du coup en votre faveur...

6 commentaires:

  1. Très bonne critique!
    C'est vrai qu'au départ le film ne me paraissait pas décevant, j'entends globalement plaisant (le fait de connaitre et de comparer avec la version de 69 pesant dans la balance), mais si on se réfère au CV des deux frangins, oui c'est décevant.
    pas un mauvais film, mais impersonnel, du travail de pro, sans plus.
    Bon vu que Jeff Bridges a reçu il me semble l'année dernière l'oscar du meilleur acteur, on va pas lui en refiler un autre? Encore que celui-ci rentre parfaitement dans les paramètres, le fameux "rôle à oscar", qui est finalement très restrictif et apporte peu.
    Quant au fait que Brolin et Damon soient sous employés, c'est vrai, mais la version de 69 offraient elle aussi des rôles mineurs aux acteurs (après voir Damon jouer un personnage aussi limité, c'est assez amusant finalement).

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  2. merci pour l'appréciation d'abord cher dr ;-)

    En voilà un film dont j'aurais aimé dire plus de bien ! d'ailleurs ma critique rend compte de ma déception d'après-séance, car je ne me suis pas trop ennuyé pendant, mais suis sorti avec un gros manque ... et surtout l'impression qu'il y avait erreur sur les signataires du film : trop déjà vu, trop clean, trop volatile de la part des Coen...

    Encore une déception ciné : ça commence moyen cette année 2011 :(

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  3. cher Blake,

    chronique très intéressante... mais au capital des Coen même un petit film reste intéressant... mon préféré reste Miller's crosing un chef d'oeuvre que je n'ai pas revu depuis longtemps

    sinon j'ai adoré apparemment comme toi "L'assassinat de Jesse James"... et "3h10 to Yuma"... de si nombreux goûts en commun nous devons être des jumeaux virtuels :) !

    amitiés

    christo

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  4. hello Blake.

    Excellente critique, très bien argumentée, du niveau professionnel.
    J'ai vu le film hier soir et j'en suis ressorti satisfait. 2h qui passe s'en sans rendre compte, tellement pris par le film. Mais avec le recul, je reconnais ses imperfections. Mon emballement premier a laissé place à plus de nuance. Mais je ne serais pas aussi dur que toi.
    Certes, "True Grit" n'est pas du niveau de leur récent chef d'œuvre "No country for the old men", sorte de néo western où les 4x4 ont remplacé les chevaux et les deals de drogues les vols de bétails.
    Certes, ont pouvait attendre beaucoup du film car ce genre est comme une évidence dans leur filmographie, nombre de leurs œuvres en portaient des traces, des stigmates direct ou indirect, empruntant en détournant ses codes et poncifs (grands espaces, la violence, la vie des bleds perdus et ses personnages pittoresques, etc..).
    Certes, la mise en scène est moins innovante que d'habitude, l'histoire tarde à démarrer, la psychologie des personnages légère, etc...
    Mais le film reste de bonne facture, se laisse regarder sans déplaisir, offre un très bon moment d'évasion et des dialogues de qualités. Un film mineur des Coen reste quand même un bon film chez 3/4 des réalisateurs.
    Après, je comprend ta frustration car moi aussi je suis, comme toi, un véritable fan inconditionnel des frangins et on attend toujours le top de la part de....génie (oui, j'ose le mot). Et quand on constate une baisse de régime, c'est toujours douloureux.

    Pour finir, je dirais simplement que j'ai trouvé "True Grit" de bonne facture, très prenant mais ne possédant pas la grâce et le génie de certaines œuvres antérieures. Une seule chose, espérer que l'inspiration et le génie habituel soit de retour pour leur prochain film.....

    A + +

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  5. @christo et francky : merci de vos appréciations, et c'est vrai que ces temps-ci je suis un peu ronchon, ça a parfois tendance à devenir "Les critiques de Blake" à mon corps défendant j'avoue...
    mais l'actualité cinéma me déçoit un peu en ce moment, même quand j'étais parti pour aimer comme c'était le cas ici au départ ;-)

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  6. C'est vrai que ce début d'année est vraiment pas folichon. Et la pour le coups c'est les cadors qui déçoivent après Eastwood et Sofia Coppola c'est au tour des Cohen de nous sortit un film insipide.
    Loin d'être inintéressant True Grit manque quand même sacrément de saveur et de truculence.

    Belle remarque Blake, No Country For Old Man est bizarrement un meilleur western que le dernier film des frangins.

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