samedi 5 mars 2011

CINÉMA. "Never Let Me Go"

À l'heure où le débat sur les êtres humains génétiquement sélectionnés (les "bébés médicaments") ne fait que débuter pour ouvrir des horizons éthiques inconnus et des lendemains incertains, le film du réalisateur anglo-américain Mark Romanek tombe à point nommé.

Mais "Never Let Me Go" est surtout l'adaptation d'un roman du même nom (en VF "Auprès de moi toujours) de l'écrivain britannique Kazuo Ishiguro.
Écrivain subtil des vies obscures et des destins ambigüs, l'oeuvre de cet orfèvre littéraire n'est pas des plus aisées à transcrire à l'écran (exception faite du très réussi Les Vestiges du Jour de James Ivory).

Kathy, Ruth et Tommy ont grandi depuis les années 60 dans un établissement clô où il était impossible de franchir librement les murs extérieurs. Leur éducation soignée mais stricte les a formé à être des citoyens dociles et obéissants.

Elevés dans un pensionnat à l’écart du monde, ils vont découvrir une fois parvenus à l'âge adulte la raison de leur éducation à l'écart et leur vraie nature... Fable uchronique (récit d'une réalité parallèle), l'histoire d'Ishiguro est le miroir à peine anticipé de notre société et au peu de valeur qu'elle accorde à la vie humaine, ou du moins, à certaines...

Adaptée par le cinéaste Mark Romanek (Photo Obsession), le film prolonge à l'écran cette interrogation. Disons-le tout de suite, puisque l'histoire est connue : cette réflexion sur le clonage se place toujours du point de vue de jeunes gens ignorants de leur vraie nature et surtout de la condition inéluctable auxquels ils sont restreints : donner ses organes vitaux jusqu'à "terminer", terme pudique qui cache une vie brève et un destin funeste.
"Never Let Me Go", c'est l'étrange cas d'un film scrupuleusement fidèle au roman d'origine et respecteux de son propos, sans toutefois être un film remarquable.

Je m'explique : fidèle jusqu'à la lettre à l'atmosphère faussement ouatée du roman, de la chronique de ces enfances secrètes au sein de Hailsham, institution british hors d'âge jusqu'à leur découverte comme des poussins égarés du monde extérieur et de leur vraie place, le film ne se pare de douceur classique que pour mieux masquer le pessismisme de son propos, mais ne suscite pas un trouble assez profond.

Anti-film de SF conventionnelle, son sujet se révèle plus fort que le film lui-même.
Cette vision pertinente et subtile d'une société qui dénit leur état d'êtres humains à des êtres de remplacement qui acceptent avec soumision leur destin, devrait nous glacer et nous émouvoir.
Mais là où la littérature parvient à troubler en suggérant la vérité qui ne se faisait jour que de façon sous-entendue à travers le point de vue de la jeune Kathy, le film touche par intermittences mais reste trop muselé par son aspect modeste et anecdotique, sa réalisation classique (ah, la quiétude de l'Angleterre rurale et des stations balnéaires hors-saison) et une certaine fadeur générale (un comble) qui empêche d'adhérer entièrement au projet.

Ce n'est pourtant pas faute d'essayer, les scènes où les trois jeunes et attachants héros prenant conscience de leur destin la larme à l'oeil ne manquant pas... Une fois, c'est très touchant, répétée trois-quatre fois, ça devient plutôt un truc facile de cinéaste sans scrupules...

Un cinéaste qui a pourtant bien dirigé son trio de jeunes comédiens (Andrew Garfied, vibrant et plus convaincant que dans le David Fincher, Keira Knightley assez juste en fausse rebelle, et surtout la fine Carey Mulligan, frêle et blonde "accompagnante" du destin de ses compagnons, douce récitante qui met un peu de l'intensité voulue à ce film fort digne, mais un peu corseté.

Pour autant, pour ce sujet fort et visionnaire, le citoyen moyen devrait apprécier qu'on fasse appel à son questionnement moral. Le cinéphile, lui, aurait voulu qu'on lui propose aussi un vrai moment de cinéma qui mérite d'être retenu, pas seulement un joli support idéal pour un débat sur la bioéthique et la nécessaire déontologie du clonage humain à venir ...

"Never Let Me Go" (Grande-Bretagne/États-Unis). Réalisation : Mark Romanek. Scénario : Alex Garland d'après le roman de Kazuo Ishiguro. Chef-Opérateur : Adam Kimmel. Musique : Randall Poster. Production : Fox Searchlight Pictures. Durée : 95 mn. Sorti le 2 mars 2011

Avec : Carey Mulligan (Kathy), Andrew Garfield (Tommy), Keira Knightley (Ruth), Charlotte Rampling (Miss Emily), Sally Hawkins (Miss Lucy), Nathalie Richard (Madame).


autres avis, du plus emballé au plus négatif : Cinéaddict, Il a osé! et Plan-C
Pour les lecteurs curieux, le très recommandable "Auprès de moi toujours" est paru en 2005 aux Éditions des 2 terres et est également disponible en poche chez folio Gallimard.


3 commentaires:

  1. mais de rien Félix, une critique du film très intéressante et un blog à l'avenant ;-)

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  2. ... j'ai vu le film ce dimanche, je suis d'accord avec ta chronique mais ai tout de même passé un très beau et bon moment car ce film est fidèle dans le fond et la forme au roman de Ishiguro... la densité est là et au cinéma cela fait du bien des film à la lenteur pensive

    amitiés

    christo

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