mardi 18 mai 2010

LE COIN DES CLASSIQUES. La Nuit du Chasseur de Charles Laughton

Voici une nouvelle rubrique, prétexte à revisiter avec plaisir certains classiques.

À tout seigneur, tout honneur, voici l'un des films les plus authentiquement cultes du cinéma, et l'un de mes films fétiches : "La Nuit du Chasseur" de Charles Laughton.


Dans une petite ville américaine des années 30, Ben Harper (Peter Graves) le père de deux enfants, cache l’argent d’un hold-up et fait promettre à son fils John (Billy Chapin), seul à être au courant, de garder le secret de sa planque. Vite arrêté et jugé, Ben est condamné à être pendu.
Après une période difficile, la mère, Willa (Shelley Winters) fait la connaissance d’un fascinant prêcheur, Harry Powell (Robert Mitchum), hier compagnon de cellule du mari. Leur mariage est aussitôt célébré. Mais le faux pasteur n'est là que pour retrouver le butin et ce, par tous les moyens...
Film unique à tout point de vue et film maudit en raison de son insuccès en 1955, "La Nuit du Chasseur" fut longtemps laissé à la marge de l’histoire du cinéma.
Ironie du sort, la postérité le place depuis plus d’une vingtaine d’années et à juste titre dans le trio de tête de tous les palmarès mondiaux du cinéma. Et sans conteste, c'est l'un des plus beaux films du monde.
Un destin d'autant plus surprenant pour ce film que son auteur, le grand acteur anglais Charles Laughton, eût bien du mal à concrétiser.
Peu soutenu par les producteurs de United Artists, Laughton fit adapter - très fidèlement - l'unique et beau roman de l'auteur Davis Grubb par James Agee, grand scénariste porté sur la bouteille qui abandonna le scénario en route. Laughton le termina lui-même tant bien que mal. Mais déprimé en cours de tournage, il s'éclipsa momentanément.
La légende raconte que Robert Mitchum, contrairement à sa réputation de viveur cynique, reprit le projet, dont il avait compris la singularité artistique, le temps que Laughton se reprenne.
Il aurait même mis en scène la fuite des enfants le long de la rivière, un des sommets du film.
Histoire séduisante, mais difficile à prouver de nos jours...

J'envie réellement les bienheureux chanceux qui découvriront pour la première fois ce film ensorcelant. Un film au pouvoirs rare, un songe puissant qui convie le spectateur à toute la magie et la grâce d’envoûtement dont est capable le cinéma.
Mais peut-on vraiment expliquer un songe ?

On peut d'abord invoquer les fulgurances poétiques de ses images ciselées dans un noir et blanc expressionniste d’anthologie, travail sur l'ombre et la lumière admirable dû au chef-opérateur de génie Stanley Cortez, ex-collaborateur d'Orson Welles, au service d’un metteur en scène atypique, 55 ans à l'époque du tournage. Ce fut d'ailleurs son unique film en tant que réalisateur.
On peut rappeler la composition véritablement hallucinante d’un Robert Mitchum inoubliable en prêcheur assassin, la trouvaille de ses mains tatouées "Love/Hate", ou saluer l’hommage au cinéma muet qu’est le film dans son aspect visuel.
D’où la présence de Lilian Gish, jadis icône du cinéma de D.W. Griffith, maître historique du muet américain.
Pas un hasard non plus, si sa construction - l'opposition ville/corruption et campagne/pureté ou jour/bien et nuit/mal - se rapproche du chef-d'oeuvre de Murnau "L'Aurore" en 1922, bâti sur le même principe.

Mais le réduire à un exercice de style, fût-il d’exception, serait omettre son caractère ambivalent. Film féerique et onirique s’il en est, ce n’en est pas moins un film sur la cruauté et l’ambiguïté de la vie elle-même.

Un vrai conte de fées au climat inquiétant, adapté dans l’Amérique en crise des années 30. Un film au changement de ton permanent, débutant dans une ambiance insouciante à la Tom Sawyer, qui se poursuit comme un film noir effrayant et se termine comme une fable de Noël digne de "La Vie est Belle" de Frank Capra.
Et parsemé d'un humour certain : Mitchum avec ses "Chiiildren, Chiiildren" sonores et exagérés qu'il crie en poursuivant les enfants...

Pearl et John les enfants y sont comme les petits frères et sœurs d'Hansel et Gretel, pourchassés par un Prêcheur/Mitchum, ogre plus terrifiant - mais parfois grotesque comme un loup de dessin animé ! - que tous les Barbe-Bleue et sauvés par une Rachel/Lilian Gish, plus douce et rassurante que les bonnes fées de notre enfance.
Cet univers de fable réussit mieux que retranscrire notre plaisir enfantin face aux livres d’images : il saisit cet état d’ambivalence de l’enfance elle-même.
Lorsque l’enfant innocent découvre le monde, mélange de candeur émerveillée – ces visions cosmiques de la nature nocturne – et de prescience de tout le mal dont l’univers est empli – image saisissante de l'apparition quasi démoniaque du pasteur dans la lumière d'un réverbère.


Cette oeuvre inclassable pourrait être comme une parabole ensorcelante sur la pureté enfantine confrontée à bien des dangers : le mensonge du monde adulte, le mal, la perversité, la violence, la peur, la nuit, la mort.

Mais la grâce de "La Nuit du Chasseur" est d’aborder ces thèmes sombres par le moyen du symbole, de l’enchantement, de la poésie pure émanant de scènes de cauchemars sublimes, du charme vénéneux de l’onirisme.

Visionnaire et envoûtante image de cette chevelure féminine ondoyant dans les flots sous-marins.
Sans oublier une utilisation originale des chants et de la musique : ainsi, quand le prêcheur et Rachel entonnent chacun de leur côté le même cantique "Leaning", dans un sens diabolique pour l'un et religieux pour l'autre.

Et que dire de la beauté de la chanson "Pretty Fly" qui accompagne les enfants dans leur fuite ? Un film d'une beauté rare et d'une richesse d'interprétation qui fascinera encore longtemps les cinéphiles.

Et, paradoxe : de cette ode cinématographique à la nuit resplendit une lumière radieuse. Oui, vraiment, peut-on expliquer un songe ? Parfois, il ne vaut mieux pas...

Maintenant, écoutez cette petite voix fluette qui entonne la comptine "Pretty Fly" en descendant la rivière. Prêtez l’oreille aux sons de la nuit autour de vous. Contemplez la lune haut dans le ciel et le tapis infini d'étoiles qui s'offre à vous.

Voilà. Vous êtes dans un monde magique. Vous êtes dans "La Nuit du Chasseur".
La Nuit du Chasseur (U.S.A., 1955). Réalisation : Charles Laughton. Scénario : James Agee, d’après le roman de Davis Grubb "The Night Of The Hunter". Chef-opérateur : Stanley Cortez (N&B). Musique : Walter Schumann. Production : Paul Gregory (United Artists). Durée : 93 mn.
Avec : Robert Mitchum (Harry Powell, le prêcheur) ; Lilian Gish (Rachel Cooper) ; Shelley Winters (Willa Harper) ; Peter Graves (Ben Harper) ; Billy Chapin (John Harper) ; Sally Jane Bruce (Pearl Harper) ; James Gleason (Uncle Birdie).
DVD chez MGM/20th Century Fox.
En images, juste un extrait pour vous donner envie de (re)découvrir le film, sans en montrer trop non plus.
Rachel et le prêcheur chantent ensemble "Leaning" :
Bonne initiative : les Éditions Gallimard proposent dans leur collection folio policier une série de romans noirs en édition de poche ET le DVD du film adapté au cinéma, le tout pour moins de 10 €.

Quelques titres : Quand la Ville Dort, Mortelle Randonnée, Le Grand Sommeil et bien sûr ... La Nuit du Chasseur (folio policier n°354, prix sans DVD : 7,70€).
Vraiment, aucune raison de se priver...

4 commentaires:

  1. Je crois qu'il n'y a rien à ajouter, TU as tout dit et si bien..."La nuit du chasseur" est l'un de mes films favoris, je ne pourrais en expliquer les raisons mieux que toi, je vais donc me taire...
    A signaler que la vie est belle" de Capra est un autre de mes films fétiches, cité aussi dans ta chronique. Aurions-nous par hasard les mêmes goûts cinématographiques? ;-)

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  2. Il se pourrait bien en effet, c'est possible, Lola :-) Merci pour ces compliments en tout cas, bien qu'il me semble impossible d'avoir vraiment TOUT dit sur le sujet, assez inépuisable, ...comme toutes les grandes oeuvres, non ?

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  3. C'est marrant mais "La nuit du chasseur" est aussi un de mes films cultes ! Très bon papier !
    La lumières et les cadrages de Stanley Cortez n'y sont pas étranger. Un film unique, sorte de road movie expressionniste et contemplatif.
    Robby Müller pour "Dead Man" a du retenir la leçon !!!!

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  4. On a donc apparemment les mêmes goûts! Il faut dire que je défie de trouver de vrais cinéphiles qui n'aimeraient pas ce (désormais) classique, un vrai diamant noir fascinant. Et merciii beaucoup de l'appréciation (quand on parle des choses qu'on aime, on parle un peu de soi, donc ça fait plaisir...) :-)

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