jeudi 21 octobre 2010

L'ART DÉLICAT DE L'ARRANGEMENT. Violens, Agnès Obel, Lost In The Trees

Cette chronique du jour pourrait être sous-titrée : "Dépouillement ou trop-plein, choisis ton camp, camarade musicien..."
En effet, en musique, en dehors de la composition proprement dite, le choix du type de production est souvent crucial pour définir le son d'un artiste ou d'un groupe. Sobriété et retenue, ou ormementation et profusion d'arrangements ?

Prenez le cas du groupe Violens, nouvelle hype du moment de la presse musicale, manifestement adeptes de la seconde option avec leur premier album "Amoral".

Copains de Brooklyn de MGMT et Chairlift, la bande de gandins du dandy Jorge Elbrecht, qui chante comme Brett Anderson qui se prendrait pour Morrissey, a manifestement eu les yeux plus gros que le ventre en élaborant un mur du son surchargé d'effets en tout genre...

Une vraie avalanche de vrilles soniques, de guitares réverbrées et de voix noyées d'échos, totalement disproportionnée pour leur pop songs néo 80's, revisitant habilement - ou bien pillant sans vergogne ? - les Smiths, les Pale Fountains ou les oubliés Lotus Eaters, voire Spandau Ballet (!), saupoudrée de réminiscences sixties.

Avouons-le, si la recette alléchait sur leur EP de 2009 (l'acoustique Already Over), ici ce gâteau étouffe-chrétien écoeure vite et s'avère plutôt indigeste, masquant de plus les rares bonnes chansons plus comestibles (Violent Sensation Descends, Trance Like-Turn, Another Strike Restrained).

Un cas typique de surproduction
et de surcharge ornementale injustifiée qui se retourne contre ses auteurs et donne de suite à nos oreilles des envies de silence. À vous de juger....

Violens. "Amoral" (Static Recital) sorti le 3 octobre en écoute sur Deezer

article sur les Inrocks et chronique sur Des Chips et du Rosé

Petit exercice : comparez les deux versions du single "Acid Reign", celle de l'album et le "In The Trees Mix" et choisissez votre préférée, ou plutôt, la moins pire :





Violens.net

À l'opposé complet du spectre musical, Agnes Obel a joué la carte exactement inverse. Autrement dit : nettoyage par le vide, absence de superflu, un instrument prédominant, une voix et des chansons.

Sur son premier album "Philharmonics", cette jeune Danoise férue de folk, fan de Joni Mitchell, aux faux airs de Madonna sur sa pochette, fait surtout montre de sa formation en piano classique, base de tous ses morceaux au son intimiste et recueilli, éclairés par sa voix pure, à l'atmosphère ouatée de neige tombante.

Un recueil de ballades intemporelles, à la production maîtrisée, à peine agrémentée d'une guitare ou de pincements de cordes.
Évitant le piège de l'austérité, bénéficiant de quelques jolis morceaux (Riverside en tête, Philharmonics ou Close Watch, reprise de John Cale), sa démarche n'est cependant pas au bout du compte à l'abri d'une certaine impassibilité où rien ne dépasse vraiment, comme le bien sage single "Just So."

Un peu comme chez la folkeuse Alelia Diane, toujours de bon goût, mais sans réelle surprise ou vraie prise de risque. Dans un registre voisin, l'imprévisible Shara Worden de My Brighest Diamond s'avère bien plus troublante.

Autant qu'une surproduction excessive, trop d'épure et de dépouillement peut nuire également un tantinet à l'intensité. Néanmoins, une artiste à surveiller.
Agnes Obel. "Philharmonics" (PIAS) ♥♥ sorti le 4 octobre en écoute sur Deezer

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Agnes Obel sur Myspace

Finalement, entre l'opulence ou la sobriété des arrangements, certains ont préféré surtout se poser la question de savoir ce que cela apportait à leur musique...

Ainsi, la bande des musiciens de Lost In The Trees de l'inclassable groupe folk américain mené par le compositeur Ari Picker, a-t-elle relevée le défi d'inaugurer un croisement folk/musique classique et d'habiller d'arrangements authentiquement classiques, exécutés par un orchestre symphonique, leurs rustiques folk songs, sur "All Alone in an Empty House".

Une démarche très loin d'un quelconque décorum musical prétentieux si souvent de mise, où les somptueux arrangements classiques révélent ici le panache et la liberté des compositions de Picker, conférant une vigueur et une élégance à ces complaintes écorchées dignes d'Elliott Smith, de fait réellement habitées.

Pour s'en convaincre, il n'est que d'écouter l'étonnant "Walk Around The Lake" aux surprenants coups d'archet dignes de Bernard Hermann, suivi d'une pièce instrumentale classique (Mvt I Sketch), et les enchantées "Song for the Painter" ou "We Burn The Leaves" qui donnent le frisson.

Autant de féériques envolées qui justifient l'imagerie sylvestre développée tout au long du voyage poétique de ces bardes américains inspirés. Des arrangements rigoureux et lyriques qui portent haut ce folk au caractère charnel et spirituel à la fois, qui rappelle la belle virtuosité et la liberté de l'insaisissable Andrew Bird.

Refusant le trop ou le trop peu, Lost In The Trees a finalement décidé d'appliquer ses propres règles, opérant le croisement esthétique harmonieux de deux styles pour leur projet atypique.

Si, finalement, plus qu'un habillage de surface, le choix des bons arrangements révélait la réelle créativité des artistes et surtout la vraie profondeur de leur musique ?

Lost In The Trees. "All Alone in an Empty House" (Anti Records) sorti le 23 août

Coup de coeur ♥♥♥♥ en écoute sur Spotify

découvert grâce à Hop Blog

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le site de Lost In The Trees

4 commentaires:

  1. Salut Blake.

    Intéressant la chronique de 3 artistes/disques différents. Épure ou abondance ? Telle pourrait être la question que tu poses, pour ne pas citer ce bon vieux William.
    Je suis d'accord avec toi, pour un groupe, le choix de l'ingé son est essentiel ! Nombre de grands disques ont par une production soit audacieuse, soit novatrice..bref, toujours de qualité. Exemple marquant : Radiohead "OK Computer", "Kid A"..et Nigel Goldrich, Joy Division et ses 2 disques studios "Unknown Pleasures" et "Closer" du déjanté Martin Hammett....

    Bien qu'amateur de folk, je ne connaissais pas Lost in the Trees. Leurs folk songs, déjà intrinsèquement belles, sont magnifiées par les orchestrations classiques. Lost in the Trees a donc inventé la musique classique folk !!! La comparaison avec Andrew Bird est assez pertinente.
    Les deux autres artistes/groupes, je ne connais pas ou que de "hype" (pour Violens)....

    A + +

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  2. Superbe approche, les arrangements en fil conducteur ..absolument d'accord pour les 3 disc, et surtout l'indigestion à l'écoute de Violens.. on dirait une bouillie de mauvais U2, Depeche Mode et Bad Lieutenant (plus technique).

    Merci beaucoup pour les liens.

    Charlu.

    PS : je suis tombé un poil accroc à Blonde Redhead.. un exemple d'album précieux dans les arrangements grandiloquants et très bien dosés
    BYEE

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  3. charlu : Je suis 100 % d'accord avec toi car moi aussi je suis tombé un (immense) poil accroc à Blonde Redhead. Leurs arrangements sont à la fois complexes, raffinés, épiques mais sans tomber dans un lyrisme béat à deux sous. Du très très grands Art, porté par une voix ô combien superbe et élégiaque, et une atmosphère élégiaque !!!!!

    A + +

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  4. @charlu : on est donc raccord sur le Violens, même si je n'ai pas trop vu le rapprochement avec DM, que j'aime bcp par ailleurs :)

    @francky et charlu aussi : vous êtes plus addicts que moi au Blonde Redhead, mais j'avoue qu'il a un indéniable climat (surtout le dramatique Black Guitar) ;-)

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