jeudi 5 août 2010

CINÉMA. Robert Mulligan le méconnu

Petit coup de projecteur, après vous l'avoir récemment vite évoqué ici, sur un film et un artiste trop longtemps mis de côté dans l'histoire du cinéma.

"Du Silence et des Ombres" de Robert Mulligan est ressorti en salles en copies neuves, grâce à la société de distribution Lostfilms depuis le 7 juillet dernier.
Le classique méconnu d'un cinéaste également trop peu connu, qui est devenu, au fil des années, un de mes réalisateurs fétiches. Et qui, ces derniers temps, commence enfin à sortir de l'ombre ... sans jeu de mot !

Avant de signer son grand succès du début des seventies, "Un Été 42" popularisé par la musique de Michel Legrand, Mulligan le subtil avait réalisé en 1962 cet autre classique, en tout cas aux États-Unis.

Un film sensible adapté du livre "To Kill A Mockingbird" (Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur), l'unique roman publié par une amie de Truman Capote, Harper Lee (à droite de Gregory Peck).

Livre-culte aux U.S.A, devenu un classique étudié dans les écoles et à lire sans tarder, pourquoi ce roman superbe (Prix Pulitzer 1961) n'est pas plus réputé en France ? Mystère ...
Ainsi que son adaptation à l'écran, grand film sur l'enfance qui n'est pas sans évoquer parfois, avec son noir et blanc envoûtant, les beautés de la mythique "Nuit du Chasseur" déjà largement détaillée ici.

Car ces deux oeuvres font partie de celles qui vous pénètrent mine de rien, et vous accompagnent longtemps, sources artistiques inépuisables.
Je ne saurai vraiment trop vous encourager à voir ce beau film humaniste à la John Ford qui valut un oscar mérité à Gregory Peck en 1963.

Un Peck ... impeccable dans le rôle de l'admirable Atticus Finch, avocat intègre et père de Jem et Scout, deux enfants imaginatifs et turbulents fascinés par leur mystérieux voisin Boo Radley et qui vont découvrir en un été le vrai visage de la communauté de la petite ville d'Alabama où ils vivent.
Mulligan a parfaitement restitué à l'écran le mélange de candeur enfantine et de conte d'apprentissage initiatique au parfum onirique qui caractérise le roman, faisant preuve d'une sensibilité et d'une finesse pertinentes.
Une oeuvre subtile - toute l'histoire est vue à travers les yeux des enfants, en particulier la petite Scout, jouée avec un naturel étonnant par Mary Badham - et touchante sous ses faux airs de chronique enfantine nonchalante, qui ressuscite avec justesse les peurs et les émerveillements de l'enfance.
Une préoccupation qui parcourt en fait tout son cinéma sensuel, où l'innocence, les découvertes et les espérances - parfois déçues - de la jeunesse jouent un grand rôle.

"Discret" : c'est le mot qui revient souvent pour qualifier Robert Mulligan, aussi appelé "le Truffaut américain", formule dûe à l'aspect intime et introverti de son cinéma. Je rajouterai aussi : "attachant"...

Une vingtaine de films, pour beaucoup tournés dans le Sud du pays, sa région de coeur, tous empreints d'une délicate nostalgie et d'un regard doux-amer sur les premiers pas dans l'existence.

Mulligan ne fut pas que le cinéaste d"Un Été 42" de 1971, chronique d'apprentissage amoureux, son film le plus connu, quoiqu'un peu daté de nos jours. On retrouve son regard tout au long d'une filmographie apparemment disparate et peu diffusée :

- comédies dramatiques avec des stars (Steve McQueen-Natalie Wood dans Une Certaine Rencontre, 1963 ou Robert Redford-Natalie Wood dans Daisy Clover, critique d'Hollywood datant de 1965) ;
- chroniques intimistes (Escalier Interdit, 1967 ou Chaînes de Sang, 1977, le premier grand rôle de Richard Gere)
- et films de genre (l'étrange western L'Homme Sauvage, 1969 avec encore Gregory Peck).

Et puisqu'on parle de films de genre, Mulligan est l'auteur d'un authentique film-culte, le thriller quasi-fantastique "L'Autre" en 1972 - un autre de mes films fétiches - cauchemar psychologique ensoleillé et l'un des meilleurs films sur l'enfance inquiétante, dans la lignée des "Innocents" de Jack Clayton, autre réalisateur négligé.

Mais sans aucun cliché gothique, filmé dans cette lumière et cette nonchalance faussement innocente du Sud, et en restant toujours intime et personnel. L'effroi n'en est que plus surprenant ...

Disparu en 2008, Mulligan est l'artisan d'un cinéma américain classique dans la lignée d'Arthur Penn, Sydney Lumet ou Alan J. Pakula, qui fut son producteur.
Son dernier film "Un Été en Louisiane", 1994 est une petite merveille de chronique sensible.

On lui a longtemps reproché un penchant vers le sentimental, et un manque de style. Critiques injustes : on commence (enfin!) à réhabiliter son travail. En témoigne la rétrospective que lui a consacrée la Cinémathèque Française en juin dernier.
... Reste maintenant à rendre accessible TOUT son cinéma.

Si vous le trouvez à l'affiche d'un cinéma cet été, commencez-donc par "Du Silence et des Ombres", beau voyage au pays de l'enfance, de ses secrets et rêveries, et de ce moment capital où l'on s'ouvre au monde des adultes, si impitoyable soit-il...

P. S. : Boo Radley est un personnage central important du roman, très populaire aux États-Unis, joué dans le film par un acteur dont ce fut la première apparition (je ne vous dis rien, voyez le générique).










... Et où croyez-vous que le groupe de noisy-rock indépendant des années 90 The Boo Radleys ait tiré son nom ?
Bien sûr : de ce roman et ce film marquants (voilà, vous avez l'explication du nom de ce groupe dont Francky01 de Muziksetcultures vous a parlé ici-même !)

Cultissime, on vous dit...


Du Silence et des Ombres (U.S.A., 1962). Réalisation : Robert Mulligan. Scénario : Horton Foote d'après Harper Lee. Chef-Opérateur : Russell Harlan. Musique : Elmer Bernstein. Production : Alan J. Pakula/Universal Pictures International. Durée : 129 mn.
Avec Gregory Peck, Mary Badham, Phillip Alford, Brock Peters et Robert Duvall.

le film est également disponible en DVD chez Universal Pictures

5 commentaires:

  1. Ah ! je voulais le voir depuis un bail et pam tu le critiques, ça tombe bien. J'ai réussi à mettre la main dessus en dvd ayant zappé la sortie ciné. Je connais très mal Mulligan, j'ai donc hâte de le voir. Te tiens au courant quand je l'aurai vu. merci pour ta critique, elle m'a décidé à me bouger pour acheter le dvd.

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  2. Un petit mot en passant pour te remercier de m'avoir fait découvrir Mulligan avec deux de ses chefs d'oeuvre vus cette année: "L'autre" et "Du silence et des ombres", un moment délicieux dans les deux cas...

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  3. tiens, je tombe chez toi en cherchant à en savoir plus sur Boo (que je n'ai pas reconnu, il faut l'avouer)
    j'ai vu le film cette semaine et c'était une très belle surprise !
    de quoi aller piocher d'autres films chez Mulligan

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  4. Astuce : pour identifier Boo Radley, enfin plutôt celui qui le joue, il suffit d'aller chercher le tout dernier nom qui figure au rapide générique que j'ai affiché.
    ET c'est donc ... ? ;-)

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  5. faute de temps : "que je n'avais pas reconnu" ;o)

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