mercredi 8 février 2012

Les (bonnes) vieilles idées de LEONARD COHEN

On pouvait se demander à juste titre, vu la richesse de l'actualité musicale enfin retrouvée, les nouveautés en pagaille qui nous attendent chaque semaine, si se pencher sur un nouveau disque de Leonard Cohen valait la peine. Cela, tant les dernières productions du vieux moine canadien depuis vingt ans avaient tout de l'anecdotique, affadissant à coup de lounge music le caractère mythique de cet artiste essentiel, lequel n'est quand même pas un quelconque pousseur de goualante.

Prophète du désastre, prêcheur folk, Cioran du rock, l'auteur de Bird On A Wire et Halellujah est l'incarnation même du song writer d'exception, du pessimisme en marche et de l'indépendance faite homme : on ne compte plus les générations de chanteurs rock qui n'existeraient pas sans son exemple d'intégrité artistique, voir l'hommage des Inrocks I'm Your Fan.

Longtemps remisée, l'écoute de Old Ideas a quand même eu lieu eu égard aux souvenirs : le vinyle de son Greatest Hits tout de beige vêtu trônant dans la discothèque parentale fut longtemps la meilleure porte d'entrée du monde poétique d'un artiste déjà considéré comme un vieux rabat-joie dès son arrivée fin des sixties. Une So Long Marianne épique, un Partisan vibrant, une Suzanne mythique, un Famous Blue Raincoat déchirant : TOUTES les plages de cette galette sont autant de pièces vitales pour appréhender le gentleman de la désespérance.

Avouons-le : on ne reverra plus cet âge d'or créatif à jamais disparu, mais renouer avec la langueur de sa voix d'outre-tombe s'avère un plaisir. Tout en remarquant que ce disque n'est pas tout à fait la merveille annoncée, on comprend les bons échos qui accompagnent ce douzième opus apaisé, où le dandy septuagénaire semble avoir fait la paix avec ses vieilles obsessions (les femmes, la foi, la rédemption, la mort). Sorte de revisitation-clin d'oeil de son parcours depuis la série de concerts qui l'ont vu triompher ces dernières années de la faillite financière :


Plus épuré et allégé des scories synthético-kitch de sa dernière période, Old Ideas n'atteint certes pas les grandes heures de sa période historique 1967-1974, dont l'indispensable Songs Of Love And Hate, ni même de sa renaissance années 80 I'm Your Man/The Future. Mais en laissant plus de place à l'instrumentation acoustique, le vieux Leo s'autorise une palette musicale élargie (blues, gospel, country, piano d'église) résonnant sur des mélodies aux airs déjà classiques (Show Me The Place, Banjo, Lullaby) et s'octroie même une ballade dépouillée comme aux plus belles heures (Crazy To Love You).

Il faut cependant réussir à passer les deux premiers titres, l'album ne prenant son (lent) rythme de croisière qu'avec Show Me The Place ; le vieux séducteur n'a pas abandonné son usage de choeurs féminins kitsch sans dénicher un producteur digne de ce nom, vu  certaines orchestrations minimales ; et l'ensemble témoigne plus d'une inspiration balisée que d'une vraie re-création artistique.

Mais le charisme du gentleman, la volupté de s'abandonner à sa voix profonde et sa fausse sagesse sarcastique sont des plaisirs qu'il serait dommage de snober malgré l'aspect musical désuet du projet. À 77 ans, peu nombreux sont les artistes historiques capables de générer tel sentiment de filiation et d'affection :



Élégant, digne et déconcertant funambule renaissant toujours de ses cendres, dans mon cas toujours préféré à Dylan, Mister Cohen est de ces compagnons fidèles et pères spirituels qui accompagnent bon an mal an toute une vie. Cet opus a surtout un avantage : revisiter les étapes de son parcours et fouiller dans les recoins de sa discographie décidément inépuisable. Pas si mal pour de "vieilles idées".

Leonard Cohen. Old Ideas (Sony Music) paru le 30 janvier
♥♥♥
spotify et deezer
à lire sur bon pour les oreilles, télérama et rétrospective sur les inrocks 

leonard cohen

5 commentaires:

  1. Mon Blake, ton billet me fait un bien fou. Il retrace, il "pamoisonne", il "hommage", il est juste..."toute une vie".. et sans jamais vouloir noter un tel homme et même Robert, je le préfere aussi à Dylan pour plein de raisons. Son intimité et sa proximité d'abord, la chaleur. Celle-ci se rapproche encore, hyper minimal même si les mauvaises langues parlent d'icones ruinée. Un rendez-vous. Je savais pas comment m'étendre sur ce disque à soi, et si j'avais à le faire je ferais référence à ta page. Respect
    BIZ

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  2. Je ne sais pas si ce billet mérite ces compliments mais content qu'il t'ait parlé :)
    J'aurais été étonné, Charlu, que tu ne jettes pas une oreille sur ce dernier Leonard.

    J'attends d'ailleurs quand même ton avis à toi, car même avec ce disque un peu lisse ou moins intense, comme tu dis, difficile de noter un tel bonhomme ou de nier le plaisir de ces retrouvailles d'hiver.
    Et si on doit parler de respect, c'est d'abord au "Last Year's Man" qu'on doit le porter.

    See you soon :)

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  3. De Leonard Cohen j'ai plus écouté quelques classiques de ci de là, via des covers, ta chronique me donne envie de combler ce vide relatif, par quel album tu commencerais ?

    Sinon je fais mienne également ta remarque : "Avouons-le : on ne reverra plus cet âge d'or créatif à jamais disparu". Parfois en rêve, je m'imagine remontant le temps vers cet âge d'or...

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  4. @french tribute to nick drake : si tu dois commencer, le "Greatest Hits" déjà mentionné ici ferait très bien son effet pour découvrir la canadien à son apogée.

    Sinon, pas plus simple, tu prends ses trois premiers LP, le trio des "Songs" : Songs Of Leonard Cohen (67) / Songs From A Room (69) / Songs Of Love And Hate (71) qui correspondent vraiment à son meilleur, le 1er lumineux, le 2ème rempli de standards et le dernier plutôt sombre. Il y a de quoi faire déjà :)

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  5. Cher Blake, merci pour ce conseil avisé, j'ai de quoi faire oui :)

    Et qui sait après ces écoutes, peut-être que tout en haut de ma pyramide Folk, l'homme du Chelsea Hotel rejoindra l'auteur de Pink Moon, Nick Drake qui a composé à peu près à la même période, 3 albums essentiels du genre.

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