samedi 29 mai 2010

CLIN D'OEIL

Pour contraster avec le coté spleeen et mélancolie du billet précédent, et pour clore cette semaine décidément musicale, voici, délivré par les Vampire Weekend (encore eux !) dans leur tout dernier clip, un avant-goût de ce qui devrait vous attendre cet été. En tout cas, je vous le souhaite à tous :

Tout est dans le titre de la chanson ...



Par contre, les perruques XVIIIème, en plein été, c'est vraiment indispensable ?

jeudi 27 mai 2010

MUSIQUE. Broken hearts. Tracey Thorn, John Grant, Villagers

Aujourd'hui, encore un billet musique mais d'humeur moins festive que le précédent.

En 1984, rappelez-vous, sur son premier album désormais classique, Lloyd Cole chantait "Are you ready to be heartbroken ?" en VF : "Êtes-vous prêt à avoir le coeur brisé ?"
Le coeur brisé, manifestement, les trois artistes qui nous occupent, l'ont eu depuis longtemps jusqu'à devenir de vrais experts en matière de spleen musical.

On commence avec "Love and its opposite", paru le 17 mai, deuxième album solo d'une des plus belles voix de la pop britannique, Tracey Thorn, qui officia plus de vingt ans avec son complice Ben Watt au sein du légendaire Everything But The Girl.
Des retrouvailles qui font plaisir avec cette voix reconnaissable entre toutes, langoureuse et intimiste, au timbre chaud et aux inflexions jazz.

Un rappel avec leur standard électro-mélancolique inoxydable, "Missing" :


Depuis la séparation du duo il y a 10 ans, elle a publié en 2007 un décevant premier album solo "Out of the Woods", qui peinait à retrouver la formule inspirée de EBTG, folk, pop, influences bossa et arrangements électro.

La revoilà donc trois ans après sur Strange Feeling, le label de son compagnon Ben Watt, et si aucune révolution musicale n'est de mise, l'inspiration y est en bien meilleur forme.
Une sorte de retour aux sources, où Tracey distille son spleen sentimental - on ne se refait pas - au long de ballades disséquant les affres du divorce (la valse triste de Oh ! The Divorces et son piano-voix-cordes classiques) et les éternels tourments amoureux (You Are A Lover, Late In The Afternoon).

La dame et son arrangeur Ewan Pearson ont aussi l'intelligence de varier les ambiances, en conviant quelques jeunes invités, tels Léo Taylor de The Invisibles ou Al Doyle de Hot Chip sur quelques pop-songs limite sautillantes dispersées sur le disque (Hormones, Why Does The Wind ? et la perle ambient Swimming).
On y trouve même une reprise de Lee Hazlewood au climat planant inhabituel pour la maison (Come On Home To Me).

Un retour en grâce donc, pour un opus sans réelle surprise pour les habitués, mais réservant de jolis moments, et qui devrait bien vieillir avec le temps. Et puis, quelle voix, quand même.

Tracey Thorn. "Love And Its Opposite" (Strange Feeling Records) ♥♥♥ en écoute sur Deezer

Tracey interprétant "Oh ! The Divorces" en live à la BBC :


Le deuxième abonné à l'exploration de nos misères sentimentales m'est, lui, moins familier.

Signé par John Grant, "Queen of Denmark", paru le 26 avril dernier, semble sortir de nulle part, un objet non identifié et décalé.Leader de l'obscur groupe underground Czars qu'il a quittés pour incompatibilité de tempérament, le John Grant en question originaire de Denver, Colorado, est passé par beaucoup d'épreuves - sentimentales et personnelles - avant de trouver enfin un havre de paix dans les studios texans du groupe Midlake.

Manifestement vécu comme l'exorcisme de ses nombreux tourments existentiels, cet album est d'autant plus clair, simple et lumineux que son propos est auto-sarcastique et amer.
Alors qu'il s'y dépeint en inadapté amoureux et social, aux multiples dépendances, tourmenté par son homosexualité, les chansons de ce disque sont d'une clarté mélodique et instrumentale qui renvoie au meilleur du soft-rock californien des années 70.

Une musique puisée à la source de groupes comme America, The Carpenters et le très oublié, en tout cas par moi, groupe Bread, reconnu par Grant comme source d'inspiration.
Arrangements radieux (flûtes vespérales et cordes sur I Wanna Go To Marz, choeurs féminins sur TC and Honeybear, pianos glissants et synthés vintage sur Outer Space) et évocateurs d'échappées quasi intersidérales composent un disque attachant qui pourrait flirter par instants avec une variété-rock datée, mais la grâce de l'ensemble et l'évidence mélodique des compositions emportent la conviction.
Ce n’est pas si courant, de bonnes chansons bien chantées. D’autant que si des titres comme Where Dreams Go To Die, Caramel et le morceau-titre, Queen of Denmark s’avèrent émouvants, c'est que la voix de Grant y fait des merveilles.

L'album-surprise du moment et déjà un des plus beaux de l'année.
Le risque, après, c’est de ressortir vos vieux disques de Fletwood Mac ou de Supertramp...
John Grant. "Queen of Denmark" (Bella Union/Cooperative Music) Coup de coeur ♥♥♥♥
en écoute sur Spotify car indisponible chez Deezer
La vidéo zarbie de "I Wanna Go To Marz" :


On termine vite fait avec des petits nouveaux, Villagers, dont l'album "Becoming A Jackal" vient de paraître le 21 mai dernier.

Enfin, je devrais plutôt dire UN nouveau, car Villagers est un faux groupe derrière lequel se cache un seul homme, l'Irlandais Conor O’Brien, jeune troubadour folk-pop qui nous livre ici son premier album.
La seule écoute de l'excellent single qui porte le titre de l’album m’a de suite attiré l’oreille, tant on croirait revivre l'époque des pointures pop indépendantes des années 80 telles que Aztec Camera, The Pale Fountains ou surtout Prefab Sprout. D'autant que la similitude avec la voix de Paddy McAloon, le brillant orfèvre de cette formation pop autrefois tant aimée, est assez troublante.

Ce jeune compositeur ne manque d'ailleurs pas de talent dans le genre pop littéraire, avec ses étranges contes amoureux portées par des mélodies complexes et ouvragées comme sur les délicates complaintes que sont "Home", "Set The Tigers Free" ou "The Meaning of The Ritual".

Et en premier lieu, la chanson-titre "Becoming A Jackal" qui s'avère être une perle pop très addictive. Tout au plus pourra-t-on trouver l'album à la fois brillant et inégal, car manquant peut-être de diversité et de cohérence, surtout vers la fin qui retient un peu moins l'attention.

Mais, comme magnétisé, on y revient cependant sans coup férir. Et ce jeunôt hyper-doué et excellent chanteur à la voix si expressive est vraiment à surveiller de très près. Après, qu'il devienne vraiment un chacal ou pas, ça le regarde...

Villlagers. "Becoming A Jackal" (Domino/Pias) ♥♥♥
en écoute sur Deezer

La vidéo zarbie de "Becoming A Jackal" :



Bon, avec tout ça, n'allez pas me devenir trop morose quand même, ça serait dommage.

mardi 25 mai 2010

MUSIQUE. Tennis pop ou African Foot ?

Le monde du rock et celui du sport ont généralement peu de connections. Et, tant mieux dirons-nous, tant l'actualité sportive a tendance à être lourdement omniprésente médiatiquement ... alors qu'elle me laisse personnellement totalement indifférent.
Sauf, que certains groupes semblent trouver un malin plaisir à faire écho à l'actualité sportive du moment :

Ainsi le groupe pop new-yorkais Vampire Weekend, qui a sorti cet hiver son deuxième album "Contra", nous a-t-il invité à un super match de tennis dans le clip de leur avant-dernier single "Giving Up The Gun".
Dois-je vous rappeler que les internationaux de Roland-Garros ont débuté ce dimanche 23 mai ? Et que, amateurs de la petite balle jaune ou pas, nous allons tous en entendre parler jusqu'au dimanche 6 juin ?

Mais, m'est avis que vous n'y assisterez jamais à un match aussi aussi étrange, absurde et drôle que dans la vidéo des Vampire Weekend que voici donc :


Vous aurez remarqué qu'on y croise RZA du Wu Tan Clan comme arbitre, un des Jonas Brothers, des presque Daft Punk et surtout l'acteur Jake Gyllenhaal en bien ridicule posture.
... Si on s'amusait autant à Roland-Garros, je serai peut-être plus assidu devant mon poste.

Bien sûr, la vidéo date déjà de quelques mois ainsi que leur album, l'inusable "Contra". Mais, à cette période, ce modeste espace bloquique, bloguesque, ce ...blog n'existait pas encore !

"Contra" est donc un excellent opus délivré par ce gang de déjà pros malgré leur jeune âge, mené par le chanteur Ezra Koenig.
Les premiers de la classe de Vampire Wekend ont bien écouté les Talking Heads période "Remain In Light" et le Paul Simon de "Graceland" pour remettre au goût du jour le métissage world music/pop occidentale, en tricotant sur des rythmes majoritairement africains de petites bombes pop mélodiques, à la fois efficaces et sophistiquées.

Un album séduisant et plus riche qu'il n'y paraît, qui confirme, avec une production plus synthétique et électro, les promesses de leur premier galop d’essai punk-pop sorti en 2008 ... Et qui prend toute sa saveur alors qu'arrive l'été.

Vampire Weekend. "Contra" (XL Recordings) ♥♥

en écoute intégrale sur Spotify

Été qui éclate franchement sur la vidéo qui suit. Vous me rétorquerez qu'on n'y voit aucun sport s'y pratiquer, et vous aurez bien raison.
L'explication en est que vous ne regardez pas un clip, mais bel et bien un document sur la manière dont l'équipe de France de football se prépare pour la Coupe du Monde qui aura lieu en Afrique du Sud du 11 juin au 11 juillet prochain.

Vu le sérieux de leur préparation, ça vous en dit long sur leurs chances d'aller jusqu'en finale, n'est-ce pas.


Ah, mille excuses ! J'ai confondu avec la vidéo festive à l'ambiance estivale du sautillant et irrésistible "Surprise Hotel", extrait de l'album éponyme du collectif de Los Angeles, Fool's Gold.
Encore des fondus de rythmes africains, mais délibérément plus "musique du monde" et révélateurs d'un renouveau afro-pop très tendance.

Une bande disparate basée autour du chanteur Luke Top et du guitariste Lewis Pesacov et qui, tout du long de leur album dispense un généreux mix d'influences africaines (blues africain, soul éthiopienne, afro-beat digne du roi du genre Féla) avec de surprenants vocaux chantés ... en hébreu.

Le tout, original bien que parfois décousu, est loin d'être une soupe indigeste, car toujours ludique, festif, aussi mélodique que rythmé.

Une Afrique plus vraie que nature made in California, en résumé.

Fool's Gold. "Fool's Gold" (Wagram/Cinq 7) ♥♥

Voilà donc deux bandes-sons idéales pour l'été qui vient, sportif ou pas. Les mélomanes sourcilleux me feront la remarque que ces deux disques constituaient plutôt la bande-son de l'hiver dernier.

Pas faux, mais j'aurais au moins tenté de faire du presque neuf avec du pas trop vieux... Bon voyages immobiles en tout cas !

vendredi 21 mai 2010

LIVRES. Les Beatles de l'écriture, épisode 4 final

Feuilleton Beatles littéraires, suite et fin : après McCartney-Julian Barnes, Lennon-Martin Amis, et Harrison-Ian McEwan, on termine donc avec l'équivalent du dernier Beatles, le fidèle Ringo Starr, seul des quatre musiciens à ne pas composer, ou si peu...

Batteur professionnel recruté par les trois autres après l'éviction de Pete Best par leur exigeant producteur, l'indispensable George Martin, Richard Starkey (dit Ringo à cause de sa bagouse au doigt), fut l'élément garantissant par sa nonchalance, sa modestie et son humour absurde, la cohésion musicale - et humaine - du quatuor.

Dans la même catégorie genre "rigolo officiel", au tempérament "clown triste", voici donc le dernier écrivain britannique Beatlesien, j'ai nommé : Jonathan Coe.












Coe, peut-être mon préféré de tous, est l'auteur d'une oeuvre littéraire plutôt décapante, à l'humour mordant et à la férocité réjouissante, mélange de colère, de léger désespoir et de tendresse assez enthousiasmant.

Amoureux du cinéma (il a publié deux livres-portraits d'acteurs, l'un consacré à Humphrey Bogart, l'autre à James Stewart), amateur depuis sa jeunesse de rock et de pop, et fervent opposant à la politique libérale anglaise depuis l'ère Thatcher, il est bien le plus anti-establishment des quatre auteurs concernés.

Les livres de Coe mettent toujours en scène des personnages extrêmement humains et attachants, souvent perdus et inadaptés dans une société compétitive impitoyable, sans concession pour les plus faibles.











Ainsi, "Les Nains de La Mort", un de ses premiers ouvrages, polar-prétexte à revisiter la période musicale post-punk de sa jeunesse. Ou le dyptique "Bienvenue au Club"/"Le Cercle Fermé", mettant en scène dans le premier un groupe d'ados idéalistes des années 70 et dans le second, ce qu'ils sont devenus dans les années 80/90, celles du capitalisme triomphant.
Son dernier ouvrage paru : "La pluie, avant qu'elle tombe".

Mais si l'on ne devait retenir que deux de ses livres, ce serait "La Maison du Sommeil", un roman paru en 1998, à la construction sophistiquée et diabolique, décrivant un même lieu situé à deux époques différentes, et mêlant personnages d'étudiants à la recherche d'eux-même, critique de moeurs et sociale, et complexité narrative de haut vol.

Et si jamais vous ne deviez vraiment en lire qu'un seul, ce sera sans hésitation "Testament à l'Anglaise", publié en 1995, un chef-d’œuvre d'humour grinçant et de folie parodique.

Un réjouissant jeu de massacre épinglant une famille d'aristocrates parvenue à tous les postes du pouvoir politique et économique de la Grande-Bretagne.

Une parabole cruelle, burlesque et virtuose, à la fois parodie de roman policier, portrait d'une Angleterre pervertie par l'argent et la politique, et un roman feuilletonesque décalé et inventif.

Tous les livres de Jonathan Coe sont publiés aux Éditions Gallimard et en poche chez Folio ...comme d'ailleurs tous les livres de ces "Beatles littéraires". Serait-ce encore un signe ?

La Maison du Sommeil : folio n° 3389, 480 pages, 8,20 €.
Testament à l'Anglaise : folio n° 2992 , 688 pages, 9,20 €.

Voilà : le petit voyage est terminé. J'espère que ce petit jeu comparatif excentrique n'aura, ni agaçé les amoureux des quatre de Liverpool, ni offusqué les amateurs de littérature anglaise contemporaine.
N'hésitez pas, d'ailleurs, à me faire part de vos avis, remarques ou objections, le net est fait pour ça. Si ces petits billets vous auront donné un peu envie de parcourir les bouquins de ces auteurs avec un disque des Fab Four en fond sonore, alors vous m'en verrez ravi...


En bonus : les quatre chantant "All Together Now" (1969) :



Et, au fait, peut-on savoir qui est votre Beatles préféré ? Mais si, mais si, on a tous un préféré...

mardi 18 mai 2010

LE COIN DES CLASSIQUES. La Nuit du Chasseur de Charles Laughton

Voici une nouvelle rubrique, prétexte à revisiter avec plaisir certains classiques.

À tout seigneur, tout honneur, voici l'un des films les plus authentiquement cultes du cinéma, et l'un de mes films fétiches : "La Nuit du Chasseur" de Charles Laughton.


Dans une petite ville américaine des années 30, Ben Harper (Peter Graves) le père de deux enfants, cache l’argent d’un hold-up et fait promettre à son fils John (Billy Chapin), seul à être au courant, de garder le secret de sa planque. Vite arrêté et jugé, Ben est condamné à être pendu.
Après une période difficile, la mère, Willa (Shelley Winters) fait la connaissance d’un fascinant prêcheur, Harry Powell (Robert Mitchum), hier compagnon de cellule du mari. Leur mariage est aussitôt célébré. Mais le faux pasteur n'est là que pour retrouver le butin et ce, par tous les moyens...
Film unique à tout point de vue et film maudit en raison de son insuccès en 1955, "La Nuit du Chasseur" fut longtemps laissé à la marge de l’histoire du cinéma.
Ironie du sort, la postérité le place depuis plus d’une vingtaine d’années et à juste titre dans le trio de tête de tous les palmarès mondiaux du cinéma. Et sans conteste, c'est l'un des plus beaux films du monde.
Un destin d'autant plus surprenant pour ce film que son auteur, le grand acteur anglais Charles Laughton, eût bien du mal à concrétiser.
Peu soutenu par les producteurs de United Artists, Laughton fit adapter - très fidèlement - l'unique et beau roman de l'auteur Davis Grubb par James Agee, grand scénariste porté sur la bouteille qui abandonna le scénario en route. Laughton le termina lui-même tant bien que mal. Mais déprimé en cours de tournage, il s'éclipsa momentanément.
La légende raconte que Robert Mitchum, contrairement à sa réputation de viveur cynique, reprit le projet, dont il avait compris la singularité artistique, le temps que Laughton se reprenne.
Il aurait même mis en scène la fuite des enfants le long de la rivière, un des sommets du film.
Histoire séduisante, mais difficile à prouver de nos jours...

J'envie réellement les bienheureux chanceux qui découvriront pour la première fois ce film ensorcelant. Un film au pouvoirs rare, un songe puissant qui convie le spectateur à toute la magie et la grâce d’envoûtement dont est capable le cinéma.
Mais peut-on vraiment expliquer un songe ?

On peut d'abord invoquer les fulgurances poétiques de ses images ciselées dans un noir et blanc expressionniste d’anthologie, travail sur l'ombre et la lumière admirable dû au chef-opérateur de génie Stanley Cortez, ex-collaborateur d'Orson Welles, au service d’un metteur en scène atypique, 55 ans à l'époque du tournage. Ce fut d'ailleurs son unique film en tant que réalisateur.
On peut rappeler la composition véritablement hallucinante d’un Robert Mitchum inoubliable en prêcheur assassin, la trouvaille de ses mains tatouées "Love/Hate", ou saluer l’hommage au cinéma muet qu’est le film dans son aspect visuel.
D’où la présence de Lilian Gish, jadis icône du cinéma de D.W. Griffith, maître historique du muet américain.
Pas un hasard non plus, si sa construction - l'opposition ville/corruption et campagne/pureté ou jour/bien et nuit/mal - se rapproche du chef-d'oeuvre de Murnau "L'Aurore" en 1922, bâti sur le même principe.

Mais le réduire à un exercice de style, fût-il d’exception, serait omettre son caractère ambivalent. Film féerique et onirique s’il en est, ce n’en est pas moins un film sur la cruauté et l’ambiguïté de la vie elle-même.

Un vrai conte de fées au climat inquiétant, adapté dans l’Amérique en crise des années 30. Un film au changement de ton permanent, débutant dans une ambiance insouciante à la Tom Sawyer, qui se poursuit comme un film noir effrayant et se termine comme une fable de Noël digne de "La Vie est Belle" de Frank Capra.
Et parsemé d'un humour certain : Mitchum avec ses "Chiiildren, Chiiildren" sonores et exagérés qu'il crie en poursuivant les enfants...

Pearl et John les enfants y sont comme les petits frères et sœurs d'Hansel et Gretel, pourchassés par un Prêcheur/Mitchum, ogre plus terrifiant - mais parfois grotesque comme un loup de dessin animé ! - que tous les Barbe-Bleue et sauvés par une Rachel/Lilian Gish, plus douce et rassurante que les bonnes fées de notre enfance.
Cet univers de fable réussit mieux que retranscrire notre plaisir enfantin face aux livres d’images : il saisit cet état d’ambivalence de l’enfance elle-même.
Lorsque l’enfant innocent découvre le monde, mélange de candeur émerveillée – ces visions cosmiques de la nature nocturne – et de prescience de tout le mal dont l’univers est empli – image saisissante de l'apparition quasi démoniaque du pasteur dans la lumière d'un réverbère.


Cette oeuvre inclassable pourrait être comme une parabole ensorcelante sur la pureté enfantine confrontée à bien des dangers : le mensonge du monde adulte, le mal, la perversité, la violence, la peur, la nuit, la mort.

Mais la grâce de "La Nuit du Chasseur" est d’aborder ces thèmes sombres par le moyen du symbole, de l’enchantement, de la poésie pure émanant de scènes de cauchemars sublimes, du charme vénéneux de l’onirisme.

Visionnaire et envoûtante image de cette chevelure féminine ondoyant dans les flots sous-marins.
Sans oublier une utilisation originale des chants et de la musique : ainsi, quand le prêcheur et Rachel entonnent chacun de leur côté le même cantique "Leaning", dans un sens diabolique pour l'un et religieux pour l'autre.

Et que dire de la beauté de la chanson "Pretty Fly" qui accompagne les enfants dans leur fuite ? Un film d'une beauté rare et d'une richesse d'interprétation qui fascinera encore longtemps les cinéphiles.

Et, paradoxe : de cette ode cinématographique à la nuit resplendit une lumière radieuse. Oui, vraiment, peut-on expliquer un songe ? Parfois, il ne vaut mieux pas...

Maintenant, écoutez cette petite voix fluette qui entonne la comptine "Pretty Fly" en descendant la rivière. Prêtez l’oreille aux sons de la nuit autour de vous. Contemplez la lune haut dans le ciel et le tapis infini d'étoiles qui s'offre à vous.

Voilà. Vous êtes dans un monde magique. Vous êtes dans "La Nuit du Chasseur".
La Nuit du Chasseur (U.S.A., 1955). Réalisation : Charles Laughton. Scénario : James Agee, d’après le roman de Davis Grubb "The Night Of The Hunter". Chef-opérateur : Stanley Cortez (N&B). Musique : Walter Schumann. Production : Paul Gregory (United Artists). Durée : 93 mn.
Avec : Robert Mitchum (Harry Powell, le prêcheur) ; Lilian Gish (Rachel Cooper) ; Shelley Winters (Willa Harper) ; Peter Graves (Ben Harper) ; Billy Chapin (John Harper) ; Sally Jane Bruce (Pearl Harper) ; James Gleason (Uncle Birdie).
DVD chez MGM/20th Century Fox.
En images, juste un extrait pour vous donner envie de (re)découvrir le film, sans en montrer trop non plus.
Rachel et le prêcheur chantent ensemble "Leaning" :
Bonne initiative : les Éditions Gallimard proposent dans leur collection folio policier une série de romans noirs en édition de poche ET le DVD du film adapté au cinéma, le tout pour moins de 10 €.

Quelques titres : Quand la Ville Dort, Mortelle Randonnée, Le Grand Sommeil et bien sûr ... La Nuit du Chasseur (folio policier n°354, prix sans DVD : 7,70€).
Vraiment, aucune raison de se priver...