L'événement cinéma de la semaine - du mois, du trimestre, voire de l'année ? - est bien la sortie de "The Tree of Life", l'arlésienne cinématographique de Terrence Malick attendue depuis si longtemps.
On se fait la remarque que présenter ce film à
Cannes ne fut d'ailleurs pas une bonne idée, tellement l'ambiance de ce raout mondain superficiel n'est pas propice à la réception d'une oeuvre si ambitieuse.
Pensez : l'ermite le plus insaisissable du cinéma d'outre-atlantique ose
l'ampleur, la spiritualité et la beauté, bien loin d'un petit monde préférant le trash et les pseudo-scandales.
Rendons plutôt grâce à ce cinéaste toujours à part depuis ses premiers pas, tellement la vision de ce film rêvé par lui depuis 30 ans et indéniablement conçu comme son grand oeuvre, est fait pour replacer le spectateur dans la fonction première du cinéma :
l'émerveillement.
Cinéaste de la grâce et du paradis perdu, autant rêveur idéaliste que philosophe
hanté par le doute (
Les Moissons du Ciel, La Ligne Rouge), le cinéma
bigger than life de cet artiste fait soudain paraître le reste du cinéma ou même le quotidien tout petit ou étriqué.
Et jamais avant cet "arbre de vie", le cinéma de
Malick n'avait voulu retrouver avec autant de ferveur le chemin des origines, le matin du monde.
Hanté par la transcendance et les références bibliques (
Le Livre de Job), par la figure d'un Dieu tutélaire tour à tour interpellé, honni ou supplié par des voix-off chuchotantes, "
The Tree of Life" est l'aboutissement d'un cinéma de démiurge,
maître d'un film-univers jouant avec l'infiniment grand et le tout petit, le tout avec un mélange d'ambition et de naïveté parfois déroutant.
Volonté panthéiste d'embrasser l'univers entier en confrontant le quotidien d'une famille américaine (dont Brad Pitt est le père exigeant) à la création du monde, vision cosmogonique conçue comme un gigantesque trip métaphysique adjointe à l'évocation sensorielle des verts paradis enfantins, l'ambition peut paraître démesurée ou assez mégalomane.
Mais la force de Malick réside en sa foi viscérale dans le pouvoir du cinéma : son souffle lyrique, sa maîtrise bluffante de l'espace, sa force visionnaire : a-t-on vu images plus saisissantes, étonnantes et mystérieuses que ces kaléidoscopiques visions expérimentales de notre monde, autant d'instantanés vus du point de Dieu ?
Passages renvoyant à la vision du Kubrick de "2001, l'Odyssée de l'Espace", seule référence cinéma clairement avouée.
Si cet aspect opéra visuel s'aliénera certains spectateurs trop pragmatiques, "The Tree of Life" est d'abord un film d'une beauté plastique absolument renversante.
On ne pourra nier la rare puissance d'évocation sensorielle d'une mise en scène élégiaque qui ressuscite par flashs, impressions et souvenirs tout le bouillonnement de l'enfance : découverte, insouciance et tourments mêlés qui sèment dans le coeur de Jack enfant (sensible Hunter McCraken), ensuite adulte (Sean Penn) les ferments d'une haine grandissante pour son père, incarnation de la nature quand sa mère est l'incarnation de la grâce.
Autant de références aux préoccupations philosophiques d'un Malick à la culture "d'honnête homme". Mais l'ample mouvement symphonique de ce film-poème digne des romans et poésies de Henry David Thoreau, ce long chant d'amour à la nature, cette prière apaisée qui semble filmer l'enfance voire toute la vie comme un long été rayonnant et finissant, ne peut qu'émouvoir et renvoyer aux questionnements intimes sur sa propre vie.
On sera heureux de constater que Malick s'inscrit dans cette tradition si américaine d'une vision de l'enfance porteuse d'un regard innocent et vierge comme celles des premiers livres magnifiques de Truman Capote (Les Domaines hantés), Carson McCullers (Le coeur est un chasseur solitaire) ou Harper Lee (Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur).
Que filme le plus Malick, cinéaste libre qui ose tout ? La cime des arbres, les rayons du soleil couchant, des corps qui s'enlacent, des visages d'enfants radieux ou inquiets : instants fugaces sublimés (grâce à la photographie sublime du génial chef-opérateur Emmanuel Lubezki) en moments d'éternité, illustrés par des classiques à portée universelle (Brahms, Mahler, Bach) dont "La Moldau" de Smetana est le parfait emblème : Malick en super-créateur viserait au film-somme, voire au chef-d'oeuvre délibéré.
Ambition que certains jugent déjà démesurée et versant dans un mysticisme religieux simplet. Admettons : film ténu et complexe à la fois, aspect new age insistant de la fin, durée un peu longue, "The Tree of Life" ne veut pas finir et n'est pas exempt de certains défauts.
Mais d'où vient alors la persistante impression d'avoir été appelé (voire ensuite d'être poursuivi) par cette oeuvre totale ? Par ce voyage au pays de l'enfance que chacun porte en soi, en quête d'une harmonie de vie qui nous échappe à tous, mais qu'on croit avoir trouvé au détour de certains plans renversants de ce voyage imprévu ?
Un curieux mélange de volonté créatrice toute-puissante et d'abandon face aux mystères du monde qui constitue un tour de force cinématographique inédit et la question "chef-d'oeuvre ou pas ?" semble alors secondaire.
Car de ce film aérien et insondable à la beauté triomphante irradie une puissante lumière. Celle-là qui donne envie de retourner prochainement dans la salle obscure et parcourir à nouveau cet itinéraire inédit et marquant : marcher au milieu des étoiles, se baigner au soleil et s'abandonner à la simple mais essentielle conscience de notre vie qui bat, là, ici, maintenant... Grand film, grand moment.
Seul mot d'ordre : voyez absolument "The Tree of Life", film rare, et on en reparle ensuite.
"The Tree of Life" (États-Unis, 2011).
COUP DE COEUR ♥♥♥♥♥
Palme d'Or Festival de Cannes 2011
Réalisation et scénario : Terrence Malick. Direction Artistique : David Crank. Directeur de la photographie : Emmanuel Lubezki. Compositeur : Alexandre Desplat. Production : River Road Entertainment et Plan B. Effets Spéciaux : Double Negative LTD. Distributeur France : Europa Corp Distribution. Durée : 138 mn. Sortie le 17 mai
Avec : Brad Pitt (Mr O'Brien, le père) ; Hunter McCracken (Jack jeune) ; Sean Penn (Jack adulte) ; Jessica Chastain (Mme O'Brien, la mère) ; Laramie Eppler (R.L.) ; Will Wallace (Will) ; Fiona Shaw (la grand-mère).
À noter : la reprise dans les salles françaises le 15 juin de son premier film, "La Balade Sauvage"(Badlands) de 1973 avec Martin Sheen et Sissy Spacek.
le site de The Tree of Life