Avec son magnifique "Quartier Lointain", le créateur de manga Jiro Taniguchi avait mis en images le rêve de tous les "regretteurs d'hier" du monde, comme le chantait judicieusement Souchon. À savoir : faire machine arrière, revivre les moments perdus de son enfance ou adolescence et refaire sa vie.
Un homme mûr se trompe de train, se dirigeant dans la ville de son enfance et se retrouve dans celui qu'il était à 14 ans : une oeuvre intimiste et émouvante, chef-d'oeuvre de maturité d'un auteur subtil, encore plus estimé chez nous que dans son Japon natal, vu son évidente filiation avec des auteurs européens, la ligne claire belge en premier lieu.
Et voilà donc que le cinéma s'est entiché de Taniguchi au point de l'avoir adapté, en transposant l'action en France dans les montagnes de l'Ain à Nantua, à travers la caméra respectueuse du réalisateur belge Sam Garbarski.
Déjà, Garbaski (Le Tango des Rashevski, Irina Palm) a évité de trahir le manga, parvenant à restituer la luminosité et la fraîcheur de l'atmosphère de cet inattendu retour aux sources.
Lui et son chef-op', sans commettre non plus un décalque visuel sans idée, ont développé un climat "ligne claire" - image radieuse, couleurs pures, photo cadrée - en raccord avec ces années 60 revécues par Thomas/Pascal Greggory, adulte cinquantenaire surpris de remarcher dans ses anciens pas et déterminé à empêcher son père de quitter sans crier gare la cellule familiale.
Et question casting, aucune faute de goût, que ce soit Pascal Greggory en doux mélancolique, ou Alexandra Maria Lara (vue dans La Chute ou Control) touchante en jeune mère belle et sensible, et le toujours subtil Jonathan Zaccaï parfait en père présent-absent, déjà un peu parti.
Mais surtout les jeunes acteurs, Léo Legrand en tête en adulte-enfant, sont constamment justes, naturels et jamais crispants, c'est déjà ça de pris.
D'où vient quand même la vraie déception ressentie, l'impression d'un manque tenace à la vision de ce film harmonieux, souvent attachant - la reconstitution sans tapage, l'esprit d'une époque enfuie qui passe -mais qui ne vit pas vraiment, engoncé dans un somnambulisme cotonneux trop confortable, un peu à l'image de la B.O. du groupe Air, de bon goût mais trop clean pour être vibrante ?
Respectant l'oeuvre de Taniguchi sans jamais la trahir, Garbaski et ses adaptateurs, ont, me semble-t-il, pêché par prudence en omettant de restituer à cette fable tout son pouvoir émotionnel, en restant trop timoré pour la faire vraiment vivre à l'écran : on est intéressé, mais très rarement ému par cette jolie mais un peu fade ballade temporelle.
À moins qu'en la privant de son caractère géographique si japonais dans la B.D. originale, ils ne l'aient affadie sans le vouloir dans cette France gaullienne proprette disparue ?
Juste dommage car sans être un gros ratage, j'engage les curieux, habitués ou pas de l'oeuvre du grand Taniguchi, à vous de vous faire votre propre opinion.
Et, qui sait, le fait d'ignorer le manga vous aidera peut-être à mieux apprécier ce voyage doux-amer dans le temps des souvenirs.
"Quartier Lointain" (France-Belgique, 2010). Réalisation : Sam Garbaski. Scénario : Jérôme Tonnerre et Philippe Blasband, d'après le manga deJiro Taniguchi. Chef-opérateur : Timo Salminen. Musique : Nicolas Godin et Jean-Benoît Dunckel (Air). Production : Entre Chien et Loup/RTBF. Distribution : Wild Bunch. Durée : 98 mn.
Avec : Pascal Greggory (Thomas adulte) ; Léo Legrand (Thomas adolescent) ; Jonathan Zaccaï (le père) ; Alexandra Maria Lara (la mère) ; Laura Moisson(Corinne) ; Tania Garbarski(Nelly) ; Lionel Abelanski (Godin adulte). Sorti le 24 novembre 2010
Suite et fin de ce ponctuel tour d'horizon de la scène française, côté chanteurs, qui prend dans un premier temps un air de session de rattrapage express.
Surtout concernant le dernier album du très discret Bastien Lallemant, paru au début du mois de ... mai dernier !
Ami et collaborateur de Bertrand Belin, Bastien Lallemant signe avec "Le Verger" un disque intemporel à l'évidente filiation gainsbourienne, qui ressuscite parfois à s'y méprendre vocalement le grand Serge, période La Javanaise-Les Goémons.
Plus narratif que Belin, moins post-moderne qu'un Arnaud Fleurent-Didier, l'art de Lallemant se révèle plus classique en terme d'inspiration et de composition.
Une flânerie poétique de belle tenue, où Lallemant, épaulé de quelques compagnons de jeu - Belin, Armelle Piolinede Holden aux choeurs, Pascal Parisot - distille une belle élégance sans afféterie et une certaine malice au long de jolies compositions (L'empoisonneuse, Les fougères).
Le tout composant un tableau soigné, quoiqu'un peu sage et trop ordonné, qui a donc le défaut de séduire sans toutefois surprendre.
À lui de proposer maintenant un parcours aux reliefs plus accidentés, pour peu que le public lui prête un peu attention.
Bastien Lallemant. "Le Verger" ♥♥ en écoute surMusicMe
Arrive ensuite le cas du dernier Florent Marchet, qui avec "Courchevel" bénéficie d'une jolie mise sur orbite en terme d'exposition grand public qui lui avait manqué en 2007 à l'époque de son impeccable "Rio Baril" d'excellente mémoire, un disque désabusé de haute tenue.
Et peut-être la raison pour laquelle j'étais resté moyennement convaincu par ce nouvel opus lors de l'écoute à sa sortie en octobre : plus direct, plus simple avec ses pop songs efficaces (trop?), voire propre et calibré pour les passages radio (le single Benjamin en tête).
Seule l'inspiration, l'observation des petites misères et frustrations de la classe moyenne, reste toujours si peu consensuelle.
Seulement, il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis.
À la faveur d'une récente prestation chez Lenoir sur Inter (voir sur La Musique à papa) - et en comparaison d'autres productions moins fréquentables, j'y viendrai - force est d'avouer la cohérence et l'intégrité du personnage.
Même s'il a un peu "électro popisé" son approche musicale ainsi que développé un look néo-Deschiens trèstrendy, il est bien loin d'en être réduit à bêler avec le ventre mou de la variété française des plateaux télé grand public.
Ne cédant en rien sur l'ironie et le spleen qui fonde ses vignettes chantées désabusées sans pathos (La Famille Kinder, La Charrette), Marchet, en petit frère pop de Dominique A - influence principale, un peu encombrante quand il essaye d'imiter ses inflexions de voix - va-t-il réussir à déambuler en équilibre entre chanson d'auteur et variété intelligente ?
Pari lancé mais que l'intéressé devrait tenir, s'il sait garder son cap, et je ne doute pas qu'il y parvienne en artiste avisé doué d'auto-dérision et aux références musicales irréprochables en écoute sur sa Playlist proposée à Libé
Florent Marchet "Courchevel" (PIAS France) ♥♥♥ en écoute surDeezer etSpotify
Et là, même si ce n'est pas vraiment mon habitude de prendre plaisir à dire du mal, force est d'avouer qu'il me faut vous parler de deux disques qui m'ont énervé...
Non seulement du fait de leur piteuse qualité, mais surtout parce que certains critiques professionnels ont eu l'étrange idée d'en dire du bien.
Je m'inquiète donc pour l'état de santé - physique : a-t-elle des oreilles en bon état ? ou mental : on craint le pire - de la critique de Télérama qui a décerné 3 étoiles à l'album "L'Homme Moderne " de Benjamin Paulin en citant Dutronc comme référence (pauvre Dutronc).
Si c'est moderne de chanter des textes creux mal écrits, surfant à coup de clichés sur le malaise social, d'un cynisme paresseux et d'un machisme vulgaire ("Ma femme voulait que je change, alors j'ai changé de femme"), alors, oui, le dandy de prisunic Benjamin Paulin, fils à papa bellâtre qui se veut élégant, est moderne.
Et si enrober le tout d'une soupe musicale néo-yéyé et variété-rap avec la diction caricaturale d'un slameur fabriqué des beaux quartiers à faire passer Grand Corps Malade pour un artiste inspiré, alors le très toc Paulin est moderne.
Faut-il que l'industrie et la presse musicale soient si larguéespour plébisciter des disques qui mériteraient de rester sur les étagères ?
Le plus effarant étant bien de voir du talent, là où il n'y en pas du tout du tout.
Benjamin Paulin. "L'Homme Moderne" (Universal Music AZ)
Juste pour que vous mesuriez l'ampleur des dégâts, et ce n'est pas la pire ! :
Mais les épreuves ne s'arrêtent pas là puisque suit le premier album du dénommé Nicolas Comment, par ailleurs photographe.
Avec "Nous étions Dieu", ce dandy froid et compassé croit certainement avoir décroché la lune puisque son disque a l'heur "d'em-ba-ller" les rédactions de Libé, des Inrocks ou Magic.
Pas difficile, il a bien écouté le chant non chanté de Gainsbourg, l'électro nihiliste de Taxi Girl et l'austérité de Kat Onoma-Rodolphe Burger, a bien brassé paresseusement.
Et mon tout ressemble à un Yves Simon glacial ânonnant des platitudes artistico-érotico-existentielles aux rimes faciles sur fond d'électro basique et de guitares piquées à Rodolphe Burger.
Une petite chose fabriquée et vaine, qui ne mériterait pas qu'on s'y attarde, si donc la presse parisienne ne l'avait déjà fait rentrer dans leur club, que France-Inter ne le diffusait dans leur programmation musicale (épargnez mon dimanche matin) et que surtout, certains osent la comparaison avec Gainsbourg (je ris), Manset (je ris moins) ou ....Bashung (je ne ris plus).
Bon, ça suffit la supercherie, d'autant plus quand le monsieur commence à y croire.
Jugez donc la réaction mesquine de petit marquis outragé qu'il eût à la lecture d'un papier défavorable sur le blog Rock My Dayset de son droit de réponse arrogant : "...votre chronique, le symbole du degré zéro de la critique rock" " ...lâche tâcheron de la critique amateur", j'en passe et des meilleures...
Le droit de suite du blogueur lui rive d'ailleurs bien son clou, et le tout, fort instructif sur la prétention et le refus de certains prétendus artistes à essuyer la critique est édifiant et à lire ici.
Si la critique se montrait moins complaisainte envers certains artistes ou maisons de disques, elle regagnerait peut-être une part de sa crédibilité depuis longtemps perdue.
Nicolas Comment. "Nous étions Dieu" (Kwaidan Records/Discograph)
Pour remettre les pendules à l'heure, rien de mieux que saluer l'ami Bashung trop tôt parti, mais à l'oeuvre si présente, non pas avec le documentaire hâtif conçu par Boris Bergman, mais bien avec l'intégrale paru chez Barclay.
Nommé "À perte de vue", l'objet porte bien son nom et réside en un coffret de 27 CD dont les 12 albums studio, 5 live ou encore 3 albums de raretés. Le reste est à découvrir pour moins de 100 €, voire 79 € si vous cherchez bien.
Indispensable pour les amoureux de l'alsaciensolitaire ou ceux qui voudraient redécouvrir son parcours.
On se quitte avec "Angora", bijou qui clôt son chef-d'oeuvre Fantaisie Militaire :
Un petit billet cinéma, dont les deux films choisis ont en commun de retracer, mais de manière bien différente, les parcours de deux individus énigmatiques, anti-héros un peu autistes, comme séparés du monde qui les entoure.
D'abord, même si mon avis arrive bien après la bataille, "The Social Network", sorti il y a déjà plus d'un mois et demi, mais peut-être encore à l'affiche dans certaines salles de grandes villes...
Est-il besoin de rappeler que ce nouveau long métrage du brillant David Fincher retrace l'ascension fulgurante de Mark Zuckerberg, jeune créateur du célébrissime réseau social facebook,ce site qui ne sert à rienet où vous ne me trouverez pas ?
Si j'en parle si tardivement, c'est qu'au sortir de sa vision, j'ai éprouvé un léger sentiment de déception, je vous l'avoue tout de go. Non qu'il m'ait vraiment déplu, mais "The Social Network" était précédé d'une si bonne réputation et de critiques si élogieuses un peu partout, que je m'attendais à plus.
Au crédit du film: déjà le fait qu'il existe (!) - Hollywood sait s'emparer rapidement de phénomènes récents - et une construction narrative en flash-backs efficace au service d'un portrait-dossier fort documenté.
Dossier diablement parlant sur la froide détermination et le caractère fuyant de Zuckerberg, milliardaire à vingt-trois ans et frustré ambitieux sans scrupule dès le début - il a "emprunté" l'idée du futur facebook à des condisciples de Harvard - et son incapacité à nouer de vraies relations humaines durables en dehors de la manipulation.
Allez vous étonner après du côté monopolistique et tordu de facebook ! Un vrai autiste moderne, une énigme jusqu'au bout et qui prend à l'écran le visage juvénile impénétrable de l'excellent Jesse Eisenberg(à gauche, à droite le vrai Zuckerberg).
Mais je n'en dirai pas autant du reste du casting, par exemple, dans la peau d'Eduardo Saverin, l'ex-meilleur ami trahi, lejeune Andrew Garfield,excellent dans le film anglais "Boy A", mais ici au jeu un peu outrancier.
Le reste de la distribution n'est pas non plus à l'aise dans les nombreuses scènes dialoguées fort hystériques (Justin Timberlake s'en sort mieux, dans la peau du créateur retors de Napster).
Scènes trop nombreuses d'ailleurs, le défaut majeur du film, où l'intérêt du spectateur décroît souvent, surtout lors des explications techniques superflues. Façon de dire poliment qu'on peut parfois s'y ennuyer...
Sans compter la solide réalisation de Fincher, grand styliste on en convient (Seven, Benjamin Button) mais qui semble recourir par moment à ses anciens tics tapageurs, comme une scène bizarrement clipée de course d'aviron.
Malgré tout, "The Social Network", est un film intelligent et pertinent sur les coulisses troubles d'une ascension fulgurante, révélateur d'une mutation technologique et sociétale que nous vivons en ce moment-même.
Mais, malgré ce qu'on a pu entendre ici ou là, et ce sera mon plus gros grief, ce ne sera pas à mes yeux le meilleur film de son auteur.
Ce serait oublier un peu vite "Fight Club" et surtout "Zodiac", magnifique film atypique, passionnant thriller-dossier qui me semble plus abouti formellement et captivant de bout en bout, lui...
À signaler: l'excellente B.O atmosphérique signée Trent Reznor...
"The Social Network" (U.S.A., 2010). Réalisation : David Fincher. Scénario : Axel Foy et Aaron Sorkin,d'après le livre-enquête deBen Mezrich. Chef-opérateur : Jeff Cronenweth. Musique : Trent Reznor. Production : Columbia Pictures. Distribution : Sony Pictures Releasing. Durée : 120 mn.
Avec : Jesse Eisenberg (Mark Zuckerberg) ; Andrew Garfield (Eduardo Saverin) ; Justin Timberlake (Sean Parker) ; Brenda Song (Christy Lee) ; Rooney Mara (Erica) ; Max Minghella (Divya Narendra) sorti depuis le 13 octobre
Moins médiatisé mais fort recommandable, "Le Braqueur" est un film autrichien, qu'on pourrait aisément prendre vu son sujet, pour un anonyme polar de plus : on y suit l'itinéraire d'un braqueur de banques également marathonien au sortir d'un de ses séjours en prison.
Dans sa cellule, il s'entraînait ; dans la cour, il courait ; en liberté, il court encore ... pour aller braquer des banques de nouveau.
Film étrange et minéral, "Le Braqueur" refuse toute psychologie, voire tout discours superflu.
Un parti-pris radical, mais fascinant de bout en bout, porté par Andreas Lust, un acteur plus vrai que nature dans la peau de ce voleur marathonien.
Un braqueur qui a réellement existé, Johan Rettenberg, qui affola l'Autriche du début des années 80 avec ses casses à répétition - presque comiques dans le film - muni d'un fusil à pompe et recouvert d'un masque, qui ressemble d'ailleurs à son propre visage émacié.
Le réalisateur Benjamin Heisenberg en fait un personnage magnétique, anti-héros obsessionnel qui ne semble vraiment exister qu'en courant et en braquant, sans s'intéresser au passage au produit de ses vols. Son but semble être ailleurs, et le film ne l'expliquera pas...
C'est d'ailleurs ce refus de toute explication psychologique, cette part de mystère respecté - pourquoi jamais il ne songe à une possible réinsertion ? - qui fait la singularité du film, et sa mise en scène au cordeau, toute en épure, est d'une force indéniable. De quoi même donner des lecons à un certain Michael Haneke souvent surestimé ...
Le film ne fait pas l'impasse sur la violence croissante du personnage, qui, en bon autiste, semble indifférent au destin qui lui est réservé.
L'issue fatale se profile, et ne donne que plus de poids aux rares scènes intimes que l'homme vit avec sa patiente compagne (Franziska Weisz).
Rares instants volés, mais qui confirment l'isolement naturel qui constitue Johann, et sa profonde inadéquation au monde, tel un héros de Melville, possible influence du cinéaste.
Le film conservera jusqu'au bout cette tension - les scènes d'action sans les artifices habituels - et réserve sur la fin de mémorables moments de cinéma : ainsi, cette traque impitoyable, quasi vécue à ses côtés. Et le dénouement est d'une rigueur et d'une dignité impeccable, où l'émotion, longtemps refoulée, affleure enfin.
Un film que d'aucuns trouveront peut-être très austère, mais qui par son énergique rigueur, confirme le renouveau du cinéma de l'Est en général, allemand et autrichien.
"Le Braqueur (La dernière course)" (Autriche, 2010). Réalisation : Benjamin Heisenberg.Scénario : Benjamin Heisenberget Martin Prinz, d'après son livre. Chef-opérateur : Reinhold Vorschneider.Musique : Andreas Schneider. Production:ZDF/Arte. Distribution : ASC Distribution.Durée : 98 mn.
Avec : Andreas Lust (Johann Rettenberger) ; Markus Schleinzer (l'agent de probation) ; Franziska Weisz (Erika) ; Roman Kettner (le concierge) ; Hannelore Klauber-Laursen (la caissière) ; Nina Steiner(laconseillère) sorti le 10 novembre